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mardi 5 février 2019

Cthulhutech - Ep. 5 : le pire contre-attaque

Résultat de recherche d'images pour "we demand to be taken seriously"
oh no j'ai que des tâches de basse intensité, un indicateur de motivation dans le rouge et zéro scrupule concernant la qualité de mes calembours de daron.

ça ne peut signifier qu'une chose.

Épisodes précédents : le contexte historique, premier contact avec l'objet, faire son bonhomme, faire la bagarre. RAPPEL DE BARÈME HABITUEL SERVANT ÉGALEMENT D'AVERTISSEMENT DE CONTENU : il ne s'agit pas ici d'être équitable, juste ou mesuré. Tout le monde et son chien le fait quand il parle de Cthulhutech : "oui d'accoooord, c'est pas un chef d'oeuvre mais..." et s'en suit une liste moyennement convaincante de trucs qui sont moins foirés que le reste. Pas de ça ici. Ici, nous rétablissons l'équilibre dans le discours critique : c'est le coin où les curieux viennent voir cet étrange individu juché sur une caisse en bois qui tente par un discours désespéré de convaincre un monde incrédule qu'il faut arrêter cinq minutes de se raconter des histoires, Cthulhutech, c'est de la merde.

Et, je rappelle, de la merde fractale, ce qui est assez approprié au genre qu'il tente vainement d'aborder avec ses petits bras maladroits. Tu prends un truc de merde, tu zoomes, et paf : tu te rends compte qu'il est lui-même constitué d'autres trucs de merde, plus petits, qui eux mêmes...

Cas concret : les règles de magie.



Cas intéressant car on peut aisément, en lisant ce chapitre, imaginer la lente et doulourseuse métamorphose d'une idée pas trop dégueulasse en un gros truc mutant, baveux, couvert de mucus et qui rampe lentement en ta direction en murmurant "tuuuuu... eeeeez... moiii...".

L'idée de base : faire de la magie quelque chose de rituel, qui prend du temps et de la préparation pour se lancer. Oker péka pas comme disent les jeunes, ça colle aux histoires de préparation de sels élémentaires et d'études d'équations qui durent des plombes dans les histoires du racis- du maître de Providence. Les mecs sont clairement partis avec en tête l'idée de repasser dans les lieux communs du lançage de sorts -- vieux grimoires, cercles tracés au sol, ingrédients chelous, pactes à passer -- avec ce principe pour guider leur travail.

Et on ne sait comment mais sans surprise c'est devenu de la boue.




Bonjour monsieur le sorcier, c'est pour un contrôle, c'est la police

Alors parlons du contexte : l'humanité a plus ou moins accepté que oui, toute la physique moderne est un mensonge et nos vies sont régies par des forces encore plus invisibles et imprévisibles que la gravité ou l'attraction nucléaire forte, et par conséquent on peut lancer des sorts. Je passe les détails qui sont à la fois fades et chiants, ergonomiquement parlant -- genre les gens du commun appellent l'énergie magique l'orgone, mais les sorciers pratiquant se la pètent et appellent ça le ruach, du coup t'as deux noms différents pour une seule ressource de jeux à travers tout le texte et tout ça pour quoi, SUPER bien ouèj les mecs -- bref, je passe les détails nuls. Faisons ce que les créateurs de cthulhutech devraient faire plus souvent au lieu de saouler le monde avec leur prose de tireurs à la ligne, une bullet list :

  • la magie existe et tout le monde le sait
  • on peut l'apprendre à l'université et sorcier c'est un métier
  • il faut passer un examen et obtenir un permis pour lancer des sorts
  • devenir sorcier te prive de certains droits constitutionnels, comme savoir pourquoi trois types patibulaires viennent taper à ta porte à 3h du mat, te montrer viteuf un badge que t'as jamais vu et t'enfermer dans une cave pendant 3 mois sans pouvoir adresser la parole à un avocat et oui, c'est légal parce que tu comprends, les méchants terroristes et ce genre de choses

Cela veut dire que moui, si tu lances des sorts tu es dans un de ces deux cas de figure : soit t'es fiché, et le MJ peut te faire chier avec ça très facilement ; soit tu pratiques la magie illégalement, et le MJ peut te faire chier avec ça très facilement.

Pour quiconque a déjà joué avec un MJ fana de jeux cybertrucs et plus particulièrement de ceux où le johnson trahit l'équipe un épisode sur deux, public plutôt favorable à Cthulhutech va-t-en savoir pourquoi, tu sens qu'on va passer une super-soirée. Pour devenir un sorcier, le prix est donc conséquent. Qu'obtient-on en échange, niveau options de jeu ?

C'est une profession où il faut pas être pressé

Passer deux jours de prépa et six heures d'incantation non interrompue pour avoir une poudre qui rend visible les trucs invisibles si tu la jettes dessus.


Et tu remarqueras, ça coûte aussi des points de magie. Et de la thune pour les composants. Et un test étendu, c'est-à-dire ahah non pas un test, mais plusieurs, et n'en foire pas trop. Et un risque de devenir fou. Et certains talents précis à un certain niveau. Et chaque sort à ses talents à lui. Et c'est -- fatalement -- des talents qui servent à pas grand chose, on en revient aux coûts cachés de la création de perso.

Et je te parle pas de sorts que tu dois acheter pour pouvoir lancer d'autres sorts. Pas comme des prérequis où tu achètes la petite boule de feu pour avoir droit à la grosse boule de feu plus tard, non. C'est pas assez Cthulhutech. Non, je te parle de sorts qui ne servent à rien d'autre que de lancer d'autres sorts, comme "consacrer un espace".

J'arrête pas de faire des jim faces en écrivant ces billets. Déjà, voir des trucs pareils dans un bouquin qui a gagné des prix -- pas un, des -- c'est difficile pour la santé du cigare, mais le dire tout haut c'est encore pire.


Alors quand tu montes dans les "cercles" de sorts -- les niveaux, quoi -- ça peut avoir l'air intéressant sur le papier, comme invoquer une armure magique qui sauve ta vie contre n'importe quelle attaque mais une fois, ou invoquer les boules tueuses des films Phantasm mais je suis pas sûr que devoir passer quatre jours à refaire la déco de la pièce et 48 heures de suite dedans à chanter en pnakotique, dépenser 4000 dollars à chaque tentative, devoir faire huit jets niveau difficile sans se planter et risquer 2 points de folie en vaille la peine. Un garde du corps c'est bien aussi. On pourrait éventuellement imaginer que ça soit une métaphore pour l'accès à un certain privilège économique, genre sur le papier tu peux le faire mais en pratique y'a que les gros bourgeois qui peuvent se payer les services d'un sorcier PNJ qui se baladent avec des Gardes de Yog Sottoth autour du cou, mais en fait non. Enfin je sais pas, ils y ont peut-être pensé à un moment ou quoi, mais c'est nulle part dans le bouquin, implicitement ou pas. C'est juste un non-sujet.

Parlons plutôt horaires et biffetons.

Ta mère et moi on est pas fâchés, on est juste déçus

Et donc voilà, nous avons ici un système qui utilise le temps diégétique -- celui qui s'écoule pour les personnage, mais pas nécessairement pour les joueurs -- comme ressource explicite de jeu. C'est original et intéressant, en principe. Il y a plein de choses complexes mais fascinantes qui se passent quand on commence à prendre en compte le temps diégétique en jeu de rôles.

AD&D et ses suites, par exemple, contiennent de longues pages sur comment gérer les "temps d'arrêt" ou downtime des PJ pendant une campagne. En pratique, cela permet de gérer des ellipses -- "okay, donc toi tu t'entraines les deux semaines à venir pendant que le sorcier fait l'aller retour avec le village d'à côté pour ses composants, impec, deux semaines plus tard..." -- et de donner l'initiative de la mise en scène aux joueurs : entre deux aventures où ils réagissent aux événements, c'est à eux de décider où ils vont et ce qu'ils font, c'est leur me time.



Plus moderne, Apocalypse World dans sa deuxième édition propose à toutes les classes de bonhommes des activités lucratives à demander au MJ quand on s'emmerde, du genre buter quelqu'un pour de l'argent ou aller chercher des pièces détachées dans les ruines. Le MJ ne peut pas vraiment refuser et je lui déconseillerais de le faire s'il le pouvait, car ce sont autant de générateurs à petits scénarios bien personnels, qui peuvent faire boule de neige dans la campagne. Du fun. Maintenant que j'ai présenté comment font les anciens et les modernes, devinette : comment s'y prend Cthulhutech.


Bingo. Tu es le meilleur très chères lecteurtrices. Non seulement on parle pas de comment gérer l'écoulement du temps dans les règles de magie, mais dans la partie MJ non plus. Nulle part en fait. Pas un conseil, un petit mot gentil, même une allusion fuyante. Que dalle. Le temps c'est soit tour par tour, par tranche de trois secondes, généralement quand on se met des coups dans la tronche, ou au pif.

Ces durées de prépa et d'incantation, en terme de jouabilité, d'impact sur la partie, de "qu'est-ce que ça va amener d'intéressant à raconter pendant la partie", à part donner une bonne excuse au MJ pour refuser que le sorcier lance un sort, ben je vois pas bien. En contrepartie, le minimaxeur intelligent saura que si le MJ n'a pas précisé combien de temps s'est écoulé entre deux parties, il pourra annoncer d'emblée "bon ben j'ai passé mon temps libre à préparer et caster TOUS mes sorts" le MJ pourra difficilement dire non sans passer pour un qu'on peut pas se permettre de passer pour. Au final, concrètement, sur le terrain en dur en vrai quand tu joues, toutes ces histoires de préparation d'espace et de jours d'incantation ça revient au même que les emplacements de sorts à Donj' : au début de la partie et si t'es gentil t'as tous tes sorts préparés, et en cours d'aventure t'auras de toute façon pas trop le temps d'en préparer d'autres sauf si le MJ a pitié.

C'est d'ailleurs un peu pareil avec la thune. Je rappelle : y'a rien dans les règles de créa ni de gestion de bonhomme qui parle argent en précisant des sommes. Quand tu achètes l'avantage "riche", le texte dit juste "vous êtes riche", pas de somme précise citée. Pareillement, l'équipement de départ est à négocier librement entre les joueurs et le MJ. Et pourtant t'as des listes et des listes de flingues, de katanas, de bouquins, de sorts et de je ne sais quelles autres merdouilles avec des prix en "terranote". Voici TOUT ce que le bouquin a à dire sur les terranotes :

Alors je sais hein, je suis pas un concepteur de jeux connus ni rien, je voudrais pas faire la leçon à des professionnels de la profession qui ont gagné des prix, mais. Ca aurait changé quoi de dire "dans le futur la monnaie c'est les terranotes mais un dollar = un terranote, vous faites pas chier" à la place de ::fait des ronds avec les mains en direction du paragraphe:: Et bien la réponse est je pense "un paragraphe de 153 mots, ce qui nous fait au tarif standard de copywriter quelque chose comme le prix d'une bière". La constante Cthulhutech : beaucoup trop de texte plein de procédures plus compliquées que la moyenne pour moins de résultats au final. Toujours.

Des gens payés au mot pour un public qui achète au poids

Et malgré tout ça tu kiffes tellement la magie que tu veux jouer un sorcier à Ctech. Je vais pas te mentir, je t'admire un peu. En tout cas, j'aimerais avoir ton enthousiasme et ton optimisme. Tu as pris le profil du spécialiste de l'occulte, tu as acheté bardées de langues parce qu'il te semblait que ça servait à quelque chose et maintenant tu regardes à quoi servent les jolis grimoires aux noms évocateurs -- le nécronomicon ! Le culte des ghoules ! Le unspl unspcr unaussprechli truc ! -- qui parsèment les yogsottotheries depuis des décennies. Comme dans tout jeu à tentacules, Ctech propose des pages et des pages de bouquins du mythe, comme on dit, avec leurs stats :


Alors à votre avis, mécaniquement, comment ça fonctionne. Je vous laisse une minute pour réfléchir.

Alors oui, voilà, j'entends la bonne réponse dans la salle : absolument pas. En gros : quand tu lis un ouvrage du mythe, déjà tu dois parler la langue. Ensuite tu fais un jet de folie, hein, parce que c'est comme ça dans les jeux à tentacules. Et une fois que c'est fait tu p...

tu peux...

::inspire::

tu as l'autorisation du jeu pour dépenser des pèxes pour acheter une nouvelle spécialisation pour un talent de sorcellerie. Même pas un nouveau sort ou quoi. Une nouvelle spécialisation. Que tu dois payer. Avec tes propres pèxes. Oui c'est une punition supplémentaire pour les joueurs qui veulent lancer des sorts, et tous ces profils de bouquins ultra-détaillés ne servent à rien d'autre. Y'a deux pages de profils de bouquins.

Voilà, je crois qu'on a fait le tour. Oublie et fais un tagger à la place.

Ce que le chapitre sur la magie a à dire à propos de l'arcanotechnologie


Et voilà ! C'était la magie à Cthulhutech, j'espérais parler de la santé mentale dans la foulée mais on est déjà à plus de douze mille signes, le temps passe tellement vite quand on s'amuse.


4 commentaires:

  1. Merci pour ce billet, qui égaye ma journée comme le reste des articles. Lâche rien Grégory!

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  2. Après pour être honnête... La magie dans les jeux sur le Mythe de Cthulhu et compagnie, ça a pas toujours été un peu bancal?

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    1. Ah mais c'est la magie de cthulhutech : tu as raison, et ici c'est encore pire

      Des champions

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    2. On est passé d'un attrape-couillon dangereux et inutile à un attrape-couillon dangereux, inutile et pas ergonomique du coup. Ça reste dans la continuité quelque part.

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Je considère que vous avez lu la page d'avertissements et je modère en conséquence.