Apocalypse World en français se fignole au moment-même où je vous tape cette missive. Si vous vous demandez quel genre de personnage tordu, violent et haut en couleurs vous allez pouvoir incarner, sachez que les livrets de personnages sont disponibles en français sur le site de la Boîte à Heuhh. Les livrets sont présentés en triptyques : imprimez-les recto-verso, mettez-les à plat face "feuille de perso" vers vous et pliez-les en trois, en rabattant d'abord à droite, puis à gauche. Vous aurez de très jolis dépliants à laisser traîner négligemment sur la table basse pendant vos parties d'Horreur à Arkham pour attiser la curiosité de vos joueurs.
Pour expliquer mon coup de foudre, il faut que je vous raconte un truc. Apocalypse World, c'est le jeu dont j'aurais eu besoin pour les tables de mon adolescence.
J'ai commencé le jeu de rôle assez tôt avant d'arrêter quelques années, faute de joueurs. J'ai repris au collège, où j'ai intégré "la table du midi", un groupe de rôlistes hétéroclites de 14-17 ans qui lançaient des dés au lieu de manger leurs tartines et d'aller fumer des clopes à la sauvette. Il faut se rendre compte de ce que c'est, une table d'adolescents mâles vaguement introvertis en pleine explosion hormonale. N'allons pas par quatre chemins : nos groupes de personnages étaient des bandes de criminels sociopathes.
Sérieux. Le moindre groupe de PJ, quel que soit le jeu, rassemblait une poignée de types surarmés et complètement dénués du moindre gramme de socialisation. Cthulhu, Cyberpunk, INS/MV, Warhammer, qu'importe : les parties suivaient une demi-douzaine de tarés qui n'avaient pour seule limite la perspective de tomber sur un type capable de les envoyer ad patres. L'autorité était déterminée par la puissance de feu. Pourquoi se faire chier à discutailler avec un PNJ puisque mon perso, lui, peut cracher du feu et que si le PNJ n'est pas content, je lui kebabe sa famille ?
Le MJ jouait avec le feu : chaque scénario risquait, si un des PJ prenait la mouche, de se terminer en bataille rangée avec tout ce qui passe. La moindre frustration, le moindre "non" jugé inacceptable faisait dégénérer la situation jusqu'au point où le quartier était bouclé, la police débordée et les cadavres entassés.
Ce qui n'est pas trop étonnant, de la part de jeunes mâles hormonalement déséquilibrés et socialement décalés (des ados geeks, quoi). Et que ça soit clair : j'étais pas le dernier à le faire.
Maintenant, c'étaient les 90's, et on écrivait nos scénarios comme on nous disait de le faire : une scène d'intro, des indices qui s'enchaînent et un grand final. Ca voulait dire une chose : quand Renaud annonçait "bon, je balance une grenade", la partie était terminée. Bien sûr, on allait passer 3 temps de midi à jeter les dés pour savoir quel PJ allait s'en sortir, quel PJ allait finir en première page du journal ("UN PYSCHOPATHE ABATTU PAR LA POLICE : il tombe après 34 impacts de balles"), combien de flics allaient rester sur le carreau, etc. Mais à partir du moment exact où le premier coup de feu partait, le scénario était bon pour le bac. Impossible de remettre l'intrigue sur ses rails.
Et même si la violence partait en solo ("bon, je me casse discrètement et je le laisse s'arranger avec le caissier et la police"), qu'est-ce que vous vouliez que le MJ fasse ? Soit il butait le dangereux malade — à raison — et son joueur allait recréer le même genre de personnage, soit il décidait de la jouer "la police au cul, une course-poursuite épique" et laissait les autres PJ sur le côté. Lose-lose pour le groupe, win-win pour le joueur au personnage bon pour l'asile. Lavez-rincez-recommencez.
Et même si la violence partait en solo ("bon, je me casse discrètement et je le laisse s'arranger avec le caissier et la police"), qu'est-ce que vous vouliez que le MJ fasse ? Soit il butait le dangereux malade — à raison — et son joueur allait recréer le même genre de personnage, soit il décidait de la jouer "la police au cul, une course-poursuite épique" et laissait les autres PJ sur le côté. Lose-lose pour le groupe, win-win pour le joueur au personnage bon pour l'asile. Lavez-rincez-recommencez.
Apocalypse World aurait été le jeu idéal pour mon groupe de l'époque.
C'est la fin du monde. Plus de police, plus de convention, plus de société. Tout le monde fonctionne comme ça. Tout le monde entasse des flingues et des lames et des plaques de métal pour protéger le peu qu'il a pu gratter hors du sol radioactif et des caves effondrées. Cette bande de sociopathes aurait été à sa place.
Mieux : on est bien d'accord, les joueurs agissaient comme ça pour attirer l'attention du MJ. Eh bien, dans Apocalypse World c'est déjà fait : par design, les PJ sont le centre de l'attention du monde entier. Quelque chose cloche en ce bas-monde et je ne sais pas ce que c'est, pas vrai ? Mais les PJ, eux, sont les seuls à pouvoir le découvrir. Ce sont les héros de la série télé. Ce sont les personnes les plus capables, les plus influentes et les plus importantes de l'univers de jeu. De base.
Au lieu de passer la partie à se retenir avant d'exploser, ils auraient pu jouer les braves petits sociopathes de tout leur saoûl, à un niveau à peine imaginable. Ils auraient pu devenir le tyran du bled, ou traîner leur bande de pillards derrière eux, ou être le mec qui a l'arsenal le plus dangereux du monde. Et au lieu de transformer l'univers de jeu en champ de bataille, ils seraient arrivé après la guerre.
Au lieu de passer la partie à se retenir avant d'exploser, ils auraient pu jouer les braves petits sociopathes de tout leur saoûl, à un niveau à peine imaginable. Ils auraient pu devenir le tyran du bled, ou traîner leur bande de pillards derrière eux, ou être le mec qui a l'arsenal le plus dangereux du monde. Et au lieu de transformer l'univers de jeu en champ de bataille, ils seraient arrivé après la guerre.
Ils auraient pu se laisser aller à leurs plus bas instincts. Et je pense même qu'après cinq-six séances comme ça, ils auraient commencé à faire le chemin inverse. Ils auraient commencé à construire leur propre société de leur côté. Et c'est là que le jeu brille. Parce que c'est non seulement possible, voire encouragé, mais c'est construit pour.
Et tout ça ? Sans que le MJ ne pleure toutes les larmes de son corps après chaque séance. J'aimerais revenir 20 ans en arrière et dire à mon moi de 15 ans : "écoute, avec une bande pareille, arrête de préparer. Joue pour voir ce qui va se passer. Prends leurs personnages, mets-les dans une situation qui leur correspond et fais-la dégringoler dans les escaliers, puis laisse-les faire et suis-les. A chaque jet de dé raté, empire un peu la situation. Quand les PJ ne foutent rien, pareil. Par contre, quand ils réussissent, ne soit pas avare. Après 15min, tu verras, ça roulera tout seul." C'eût même été encore mieux d'avoir un jeu construit exprès pour tourner comme ça.
Chaque fois que je relis Apocalypse World, je n'arrête pas de me dire que c'aurait été le jeu idéal pour ma table du midi.
Je tiens quand même à ajouter qu'à ma connaissance, toutes les personnes ayant participé à la table du midi sont devenu des adultes parfaitement socialisés, très bien dans leur peau et utiles à la société.

Je dois avouer que c'est un jeu qui m'intéresse beaucoup, mais à la lecture de la VO, je n'ai pas été particulièrement convaincu; ça me paraissait franchement abscons.
RépondreSupprimerPeut-être que, pour une fois, la VF sera plus lisible.
C'est un truc qui me semble zarb, parce que perso, j'ai lu le bouquin VO d'une traite en me disant "mais macarel, c'est un exemple de clarté !"
SupprimerA mon avis, le fait d'avoir le texte dans sa langue natale va aider. Aussi, le style en Français est peut-être moins coloré, mais beaucoup plus clair.
Je soupçonne aussi que de l'avoir sous une forme de bouquin et pas de PDF risque d'aider, aussi.
SupprimerEh bé, quelle profession de foi! Ca titille, pour le coup, même si je ne joue plus. Ca m'intrigue sérieusement, en tout cas.
RépondreSupprimerJe sais que je sonne comme un VRP de province, mais AW c'est le jeu qui m'a fait rejouer. Côté joueur c'est du trad' mais avec le gras en moins. Côté meneur c'est un outil pour faire du sandbox sans suer et relancer la partie sans arrêt. C'est un jeu qui demande une certaine discipline pour mener, mais qui sait où il va et qui est très efficace, et donc particulièrement satisfaisant une fois qu'on l'a en main.
SupprimerTous les plaisirs des parties fleuve de notre adolescence sans les six heures de prépa derrière entre chaque partie et les règles qui prennent 500 pages d'exceptions et de chasse au bonus.
Perso AW est une clef, celle qui rentre pile poil dans le trou de la serrure de ma façon de mener. J'ai trouvé tout ce qui manquait à mes parties de Vermine lorsque j'ai découvert Apocalypse World...
RépondreSupprimerLe travail de Vincent Baker, s'il demande d'être confronté au principe de réalité, c'est que du bonheur et ça me permet de progresser d'une partie sur l'autre.
Un : plus ou moins pareil, AW me montre en vraie pratique testée comment faire ce que je voulais faire depuis toujours.
SupprimerDeux : quand tu parles du principe de réalité, tu invoques Freud ou autre chose ?
Non pas Freud :P Juste le fait qu'il faut passer à la pratique pour bien se rendre compte de ce qu'AW apporte :)
SupprimerEn gros, je ne progresse pas depuis que j'ai lu Apocalypse world mais depuis que j'y mène.
Bonjour !
RépondreSupprimerJe ne suis pas du tout un initié, mais le JDR m'attire fortement.
Votre blog est vraiment très intéressant, et ce même pour un néophyte, bravo !
En tant que lecteur, il faut juste garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas de "vérités" sur le JDR, mais de points de vue.
Merci merci ! Pinailler sans trop jargonner et donner mon avis sans prétention sont en effet les objectifs du blog. Ca me rassure de voir que je ne tape pas trop à côté !
SupprimerEt ayant pledgé à DW, et futur acheteur de AW, je suis d'autant + intéressé par vos articles :)
SupprimerDécidément tu le vends bien ce jeu :)
RépondreSupprimerDis moi Pogo, cela t'arrive de descendre dans not'belle capitale ? J'aimerais bien que tu viennes à Radio Rôliste, et ce serait l'occasion de boire des coups.