Si on regarde ce qui se passe effectivement autour d'une table de jeu de rôle lambda qui joue comme dieu l'a voulu — un MJ avec son paravent et son scénario inconnu des joueurs, les joueurs et leur personnage chacun, bref du Donj' — je crois pouvoir affirmer que mécaniquement, les choses se passent ainsi :
- Le MJ pose une situation où les personnages des joueurs sont présents, au moins partiellement
- Les joueurs s'occupant des PJ présents expliquent ce que font leur personnage, éventuellement après avoir posé des questions au MJ sur les détails de la situation
- Le MJ explique ce qui se passe en conséquence et décrit donc une nouvelle situation, éventuellement après avoir posé des questions aux joueurs pour être sûr de ce que font les PJ
Et ainsi de suite jusqu'à ce que mort s'en suive l'aventure se termine ou qu'il faille aller se coucher.
Ca, c'est le canevas de base. C'est la règle minimale du jeu de rôle à l'ancienne. C'est "le tour de jeu" d'un jeu de rôle standard. On peut faire des séances et des séances avec juste ça, sans fiche, sans dé, sans rien d'autres que des gens qui parlent. Le MJ a le dernier mot sur tout sauf les personnages des joueurs, les joueurs ont le dernier mot sur chaque action, parole et pensée de leurs personnages sauf les conséquences exactes de leurs actes et en voiture Simone : avec ça on devrait résoudre la plupart des situations.
C'est même le style de jeu qu'on obtient de facto quand le meneur s'autorise à changer ou à oublier les règles en cours de partie. Dès que le meneur décide qu'une stat ou un jet de dés peut être modifié parce que "c'est mieux ainsi", tout seul voire en secret, dès que le MJ se dit "ouais mais bon, au final, je raconte ce que je veux, règles ou pas", les joueurs n'ont plus à se soucier de la moindre stat ou du moindre jet de dés. Les règles ne leur offre aucun moyen sûr de prendre leurs décisions. Ils ne peuvent plus compter que sur ces 3 étapes pour prendre leurs décisions. On peut faire semblant d'utiliser des fiches, des dés et des écrans et tout, mais au final, en vrai, ce qui compte c'est ce que le MJ pense qu'il se passera ensuite si je fais ça.
Si on retire le MJ de l'équation, le tour de jeu minimal en jdr pourrait ressembler à ça :
Si on retire le MJ de l'équation, le tour de jeu minimal en jdr pourrait ressembler à ça :
- Les joueurs décident d'une situation de base où se trouvent leurs personnages
- Les joueurs déclarent ce qui se passe ensuite, éventuellement après avoir posé des questions au autres joueurs sur les détails de la situation
- Le groupe arrive à un consensus sur ce qui se passe effectivement ensuite et ceci devient la nouvelle situation de départ
J'ai participé à des tables de Mage : L'ascension qui tournaient uniquement à ça. Sans jet de dés, avec des fiches de personnages laissées à l'abandon, juste des joueurs qui s'arrangent entre eux pour décider ce qui se passe en jeu.
En deçà, il reste l'acte de langage : je dis que mon personnage fait un truc, et paf, il l'a fait. J'annonce d'une voix forte "je ramasse le caillou et je le jette plus loin" et le caillou est lancé. Tous les autres joueurs, à partir de maintenant, devront prendre ça en compte dans ce qu'ils racontent après, le tenir pour vrai. C'est suffisant pour raconter des histoires à plusieurs : quand quelqu'un veut prendre la parole, il raconte quelque chose qui se passe dans la fiction et ça devient vrai instantanément. Pas de négociation, rien.
Ca m'a l'air d'être le système de jeu minimal, et par "système" j'entends "les moyens mis en place par le groupe de jeu pour décider ce qui est vrai ou pas dans l'histoire développée par la partie." Tout le reste n'est que contraintes. Même quand je décide qu'une épée fait 1d6 points de dégâts et qu'un personnage moyen a 6 points de vie, c'est une contrainte à la narration : ça décide quand je pourrai raconter qu'un personnage tombe sous les coups d'une épée.
En deçà, il reste l'acte de langage : je dis que mon personnage fait un truc, et paf, il l'a fait. J'annonce d'une voix forte "je ramasse le caillou et je le jette plus loin" et le caillou est lancé. Tous les autres joueurs, à partir de maintenant, devront prendre ça en compte dans ce qu'ils racontent après, le tenir pour vrai. C'est suffisant pour raconter des histoires à plusieurs : quand quelqu'un veut prendre la parole, il raconte quelque chose qui se passe dans la fiction et ça devient vrai instantanément. Pas de négociation, rien.
Ca m'a l'air d'être le système de jeu minimal, et par "système" j'entends "les moyens mis en place par le groupe de jeu pour décider ce qui est vrai ou pas dans l'histoire développée par la partie." Tout le reste n'est que contraintes. Même quand je décide qu'une épée fait 1d6 points de dégâts et qu'un personnage moyen a 6 points de vie, c'est une contrainte à la narration : ça décide quand je pourrai raconter qu'un personnage tombe sous les coups d'une épée.

Ouaip...
RépondreSupprimerJe crois que si je devais me remettre au jdr, c'est vraiment vers ça que je tendrai. Quand je me faisais mon délire l'autre jour sur un nombre d'actions gratuites, c'était vraiment plutôt dans l'idée de me passer de dés. Et en lisant ta réponse, puis en y réfléchissant encore, je me suis dit que je n'avais vraiment plus envie de me farcir des systèmes. D'ailleurs, j'ai mené pas mal de Hurlements, et ça allait très bien. Ambre aussi.
Voilà. Maintenant, c'est typiquement le truc qui ne tourne que dans une atmosphère de confiance et d'échange. Il faut que les joueurs se sentent à l'aise. Et pour ça, il vaut mieux ne pas avoir des réflexes de MJ gygaxien : "ah, tu fais ça t'es sûr ? Paf dans les dents !"
SupprimerSinon, on se retrouve avec des joueurs qui se laissent raconter le truc et n'osent pas agir de peur de s'en prendre une. Et au bout d'un temps, bien, ils se font chier, la plupart du temps.
(D'après mon expérience personnelle, of course.)
Les avantages d'une règle de JdR par rapport au système minimal, c'est :
• garantir certaines conséquences par rapport à certaines actions : "je sais que si je tape sur quelqu'un avec une AC de 10, j'ai 1/2 chances de lui coller une baffe et 1/2 chances de foirer mon coup" ou autres. Ce genre de garanties permet de prendre des décisions informées, de prévoir les conséquences probables d'une action.
• forcer l'histoire à rebondir là où on ne l'attend pas : si vous prenez vos décisions par consensus (même le consensus d'une seule personne, du genre "le MJ a le dernier mot), les conséquences des actions des personnages risquent de se ressembler et les événements aussi. Ca risque de rester "moyen". Une règle peut orienter les événements dans une direction que vous n'auriez jamais prise sinon. Genre si on est un groupe du genre à éviter le conflit, sans règles, l'histoire va éviter le conflit, parce qu'on est comme ça. Avec une règle qui force vers le conflit, comme DOGS IN THE VINEYARD, ça va pousser la partie vers des directions "inconfortables" mais intéressantes.
Enfin voilà quoi, c'est juste moi.
Un bon lubrifiant pour le premier souci, c'est, côté MJ, "si tu fais ça, il se passera ça. Tu le fais ?" et, côté joueur, "qu'est-ce qu'il risque de se passer si je fais ça ?"
SupprimerOuais, ouais, je sais bien. C'est bien ce qui m'embête d'ailleurs. C'est dur de se passer des règles, mais la plupart sont trop intrusives à mon goût. Ceci dit, c'est ce qui est intéressant avec le foisonnement des jeux indies ces dernières années: ils explorent largement plus hors des sentiers battus que ce qui se faisait avant.
SupprimerSinon coincidence, la bible du meneur de jeu parle du même sujet.
RépondreSupprimerIl ne fait pas oublier que le MJ aussi est un joueur, quelque part.
RépondreSupprimerQu'est-ce que c'est que cette réponse de hippie ? Non, môssieur.
SupprimerPeut-être est-ce le cas dans vos narrativo-cacas, où le MJ est dilué jusqu'à devenir un joueur comme les autres et doit peut-être même (!) suivre des règles. Voire n'existe pas (est-ce cocasse ? Est-ce mignon ? Penser qu'on peut faire du vrai jdr sans mj !)
mais chez les vrais joueurs de JdR, le MJ n'est pas là pour s'amuser. Il est seul responsable de l'amusement de tous, là pour distraire les joueurs et garant unique de la validité narrative de la démarche. Serious business, ici.
En récompense, il est démiurge tout puissant et peut voire doit, tant que ses joueurs ne quittent pas la table dégoûtés, prendre les personnages à revers et leur coller des claques narratives dès qu'une occasion se présente pour qu'ils suivent ce que lui, MJ, détermine comme étant la meilleure histoire possible.
Car les joueurs sont des gamins irresponsables et attardés qui ne savent pas ce que leur personnage devrait faire, n'en font qu'à leur tête uniquement pour faire bisquer le MJ car là est leur seul plaisir et ne reconnaîtraient pas une bonne histoire si elle leur pissait sur la jambe.
Ouais, mais non.
SupprimerD'abord, OK, je suis un hippie qui écoute des musiques de vieux jeunes cons, j'assume.
Ensuite, si tu viens me dire que le MJ n'est pas un joueur, je pouffe. Poliment, mais je pouffe. Ce n'est peut-être pas un joueur comme les autres, mais c'est un joueur.
Qu'on ne vienne pas me dire que, quand je MJise, je ne joue pas, sinon je lance la rotulectomie générale avec le cric du Combi VW!
T'as plus assez de cheveux pour être hippie ;-)
SupprimerC'est intéressant de reposer les choses comme tu le fais, Grégory. Tel qu'on nous l'a inculqué - ou qu'on se l'est inculqués nous-mêmes, pour les autodidactes que nous sommes le plus souvent - le MJ a des devoirs, mais ils ne concernent pas toujours l'histoire.
RépondreSupprimerSouvent, on se borne à arbitrer et à respecter les règles. Ce n'est que relativement récemment que les livres de JdR ont mis sur les épaules du MJ la responsabilité de l'amusement et de l'intérêt de l'histoire.
Une petite anecdote pour revenir sur l'idée du JdR a minima et de l'utilité ou non d'un MJ. Pendant un voyage en bus avec Sean, bientôt 10 ans, j'ai décidé d'improviser un mini-scénario pour un joueur. On a créé son perso en jetant quelques dés avec une app Android et il m'a demandé ce que j'allais jouer, moi.
Plutôt que de lui répondre "ah non non, mois je suis juste le MJ" j'ai aussi fait un perso. Du coup la séance (20 minutes au maximum) s'est transformée en narration collaborative. J'invente les obstacles et je décide des jets à faire, mais il participe avec ses propres idées.
Aujourd'hui dans le tram, mon troll et son gobelin sont partis dans leur bus équipé de lasers pour aller mettre dehors une tribu de gobelins ennemis qui vivent dans un palais défendu par un dragon. Marre d'habiter dans des grottes, quoi.
Feuilles de perso et mini compte-rendu ici : http://freestoriz.tumblr.com/post/26146959521/goblin-wars
Tout ça pour dire qu'il n'y a que les rôlistes formatés par les tables de la Loi des Saints Dave et Gary qui trouvent naturels de se partager la narration de façon aussi stricte. Les esprits libres, eux, ne sont pas gênés par le narrativisme-caca.
J'adore.
SupprimerQuelques réactions néanmoins :
1) sur le terrain, en vrai, vous vous partagez la narration comment ? Informellement, genre narration performative (=ce que je raconte est ce qui arrive) avec des négociations pour les cas limite ? Ou bien vous avez des vetos limités ou des trucs du genre ? Et je vois qu'il y a des stats : pour les dangers,les stats des méchants et les dégâts, tout ça, vous vous arrangez comment ? Je suis salement curieux. (Non pas que je ne pense pas que ça marche — j'ai fait pareil et ça tourne à l'aise, c'est plus que je suis curieux de voir comment VOUS vous vous êtes arrangés.)
2)
Souvent, on se borne à arbitrer et à respecter les règles. Ce n'est que relativement récemment que les livres de JdR ont mis sur les épaules du MJ la responsabilité de l'amusement et de l'intérêt de l'histoire.
Je sais pas de quand ça date en fait. A la base, quand tu lis les premiers scénarios publiés, il s'agissait plus de situations. Le donjon est l'archétype de la situation : un endroit, des gens (et des monstres) dedans avec leurs objectifs (genre invoquer Astaroth ou protéger un trésor), des événements autour (par exemple, des pièges), et on lâche les PJ dedans pour voir ce qui se passe.
Et pourtant aujourd'hui, le JdR "classique" c'est "une intro, une suite de scène et un climax tous prévus à l'avance par le MJ". Pourtant, ni les premiers donj', ni les scénarios d'INS/MV des débuts ni les premières enquêtes de l'Appel de Cthulhu ne fonctionnent comme ça et on peut difficilement faire plus classique que ces trois-là.
Le passage de "on voit où ça nous mène" à "j'ai un climax à placer, qui sera de toute façon plus intéressant que ce qui peut arriver tout seul", ce passage de "l'histoire c'est ce qu'on en fait" à "l'histoire c'est ma to-do list de MJ (que les PJ ignorent)" je sais pas à quoi il est dû. J'aimerais accuser White Wolf (parce qu'elle aime ça et que ça me soulage) mais un cadre comme Chicago By Night, cité par beaucoup comme l'exemple d'une prépa de Vampire, c'est zéro storyline et 100% situation.
3. Le coup du narrativo-caca c'était bien sûr une grosse satire de ma part, mais je ne voudrais pas tomber sous le coup de la loi de Poe. Autant le terme "narrativiste" me soule, autant ce que les partisans du gros modèle mettent derrière (l'histoire la plus importante c'est celle qui se passe à table, et elle est le fruit des libres actions des PJ, qui en sont les personnages principaux, et de leurs conséquences) j'adhère.
1. Pour l'instant c'est vraiment de l'impro. En deux séances dans les transports on n'a pas eu trop l'occasion de formaliser les principes.
SupprimerLes stats, c'est moi qui les improvise comme je fais depuis des années dès que j'ai un paravent. On fait des jets à l'arrache et je bidouille. C'est pas comme si j'avais un gamiste parano pour joueur.
C'est moi qui raconte, il me laisse faire naturellement. Il pose des questions et propose des solutions. Je n'ai pas eu à faire de gros véto, juste une fois ou deux quand il s'est emporté sur les trésors trouvés. Il a beaucoup joué à WoW et il veut que tout puisse XP à chaque aventure : un nouveau pouvoir, un nouveau familier, un nouveau truc pour la monture, etc.
Je pourrai t'en dire plus quand on aura avancé. Ce qui serait cool c'est que j'arrive à en tirer des principes pour Brickworlds.
2. Plutôt que Vampire, est-ce que ce serait pas James Bond le responsable ? C'est de mémoire le premier jeu qui a essayé de faire "comme au cinéma".
3. J'avais bien compris, t'inquiète pas ;)
Tiens tu connais Perfected ? C'est le système de jeu qui aurait été réellement utilisé par le professeur Barker dans ses parties de Tékumel. Il existe une "version officielle" sous forme d'un jpeg qui traine sur le web, mais les règles vont comme ça :
RépondreSupprimer=== Perfected ===
We both roll dice.
If you roll high, your view of reality prevails.
If I roll high, my view of reality prevails.
If we're close, we negotiate.
C'est tout...