Jeudi passé, j'ai parlé de l'idée de situation contre l'idée de script pour la préparation d'une partie de jeu de rôles, côté MJ. Et dans les commentaires, voilà de quoi on a commencé à parler. Regardez bien, j'ai mis en gras un truc fascinant, qui se passe quasi à chaque fois que j'assiste ou que je participe à une discussion sur l'idée de situation vs l'idée de script :
"si le MJ passe trop de temps à improviser, et l'histoire a tendance à être moins riche, car seules les idées "spontanées" du MJ font surface"
"Je crois que la richesse de l'improvisation c'est surtout une question de culture, et d'un travail préalable de rêverie."
"Ça a longtemps été mon arlésienne, ce coté "liberté (impro) vs. structure (scénario)".
"l'impro sous entend un imput de la part des joueurs, mais aussi un imput de la part du MJ"
Vous avez vu ?
J'ai écrit un article sur comment préparer sa partie différemment. Et on a commencé à parler d'improvisation. Comme si la seule alternative à écrire un script de sa future partie — une suite de scènes menant vers un final — c'était d'improviser. Et comme si écrire un script faisait en sorte qu'il n'y avait aucune improvisation pendant la partie. Limite, que c'était le but.
Donc, parlons d'improvisation. Dans le sens "les trucs que je vais raconter en tant que MJ pendant la partie que je n'avais pas prévu de raconter pendant que je préparais la partie."
Donc, parlons d'improvisation. Dans le sens "les trucs que je vais raconter en tant que MJ pendant la partie que je n'avais pas prévu de raconter pendant que je préparais la partie."
Mon expérience de la chose : il ne m'est quasi jamais arrivé, lorsque je préparais un script, que l'histoire se déroule exactement comme je l'avais prévue.
Dans les cas les plus extrêmes, les PJ ont été chercher la petite bête, tracé à travers l'intrigue prévue en résolvant le mystère central en 5 minutes (Stéphane Delleuze, si tu me lis, celle-là est pour toi), massacré dès leur première rencontre le grand méchant de fin de scénario ou trouvé le moyen de le rallier de leur côté, voire oublié l'accroche et fait leurs trucs comme ils le sentaient. Même quand ça se passait plus ou moins comme je l'avais prévu, je devais quand même réagir à des grands moments d'imprévus, des "toi je t'aime pas" lancé à celui qui devait être leur allié, des "j'en ai rien à foutre" en face d'une situation critique pour la suite de l'histoire, des "je vais quand même pas faire ce qu'on me demande, parce que c'est très con" face à une demande d'un PNJ, ce genre de choses.
Et qu'est-ce que j'ai fait dans ces cas-là ? Eh ben, j'ai rebondi comme j'ai pu, j'ai changé des éléments de place, j'ai introduit de nouveaux PNJ, de nouveaux événements, j'ai balancé des ninjas au jugé... Bref, j'ai improvisé. Il n'y quasi aucune partie de JdR que j'ai mené où je n'ai pas improvisé au moins 1/4 du temps de jeu.
Dans les cas les plus extrêmes, les PJ ont été chercher la petite bête, tracé à travers l'intrigue prévue en résolvant le mystère central en 5 minutes (Stéphane Delleuze, si tu me lis, celle-là est pour toi), massacré dès leur première rencontre le grand méchant de fin de scénario ou trouvé le moyen de le rallier de leur côté, voire oublié l'accroche et fait leurs trucs comme ils le sentaient. Même quand ça se passait plus ou moins comme je l'avais prévu, je devais quand même réagir à des grands moments d'imprévus, des "toi je t'aime pas" lancé à celui qui devait être leur allié, des "j'en ai rien à foutre" en face d'une situation critique pour la suite de l'histoire, des "je vais quand même pas faire ce qu'on me demande, parce que c'est très con" face à une demande d'un PNJ, ce genre de choses.
Et qu'est-ce que j'ai fait dans ces cas-là ? Eh ben, j'ai rebondi comme j'ai pu, j'ai changé des éléments de place, j'ai introduit de nouveaux PNJ, de nouveaux événements, j'ai balancé des ninjas au jugé... Bref, j'ai improvisé. Il n'y quasi aucune partie de JdR que j'ai mené où je n'ai pas improvisé au moins 1/4 du temps de jeu.
(Et fait amusant, les rares parties où je n'ai pas eu à le faire, où les PJ ont fait exactement ce que j'avais prévu qu'ils fassent, étaient aussi excitantes qu'un lavement au café.)
Et pour une bonne raison : je n'ai aucune prise directe sur les actions des personnages principaux de l'histoire qu'on raconte. Ce qui est totalement normal, et même l'intérêt premier du jeu de rôle sur les autres formes de narration. Le fameux "et si vous étiez le héros du film ?" qu'on balance sans arrêt dans les chapitres "qu'est-ce qu'un jeu de rôles ?"
Mon avis sur la chose : face à cet état de fait, je peux me dire que les joueurs qui "refusent" d'agir comme je l'ai prévu font de "l'antijeu". Ce que je trouve assez gonflé, étant donné que les joueurs n'ont aucune idée précise de ce que j'attends de leurs personnages, à part essayer de deviner quoi faire en se basant sur ce que je leur présente. On est en pleine double contrainte : "je ne vais pas te dire clairement ce que j'attends de toi, mais si tu ne le fais pas, je serai fâché."
Ou je peux me dire que c'est pas un bug mais une feature de la pratique du jeu de rôles, me réjouir du fait que moi MJ aussi je vais être surpris par l'histoire et en profiter un max. Etre à la fois scénariste et spectateur. Utiliser les éléments narratifs sur lesquels j'ai effectivement un contrôle direct — les PNJ, les événements, les décors — pour permettre à tout le monde autour de la table, moi compris, d'avoir l'expérience la plus fun possible, quels que soient les choix des joueurs. Me dire qu'improviser est une composante inévitable de la pratique du jeu de rôles, que j'aie un script ou pas. Et préparer la partie en conséquence.
Depuis, durant les parties, mon quota éléments préparés/éléments improvisés est peu ou prou le même. Mais mon quota éléments préparés utilisés/éléments préparés pas utilisés s'est réduit à peau de chagrin. Et mon temps de préparation est bien moins important.
Mon avis sur la chose : face à cet état de fait, je peux me dire que les joueurs qui "refusent" d'agir comme je l'ai prévu font de "l'antijeu". Ce que je trouve assez gonflé, étant donné que les joueurs n'ont aucune idée précise de ce que j'attends de leurs personnages, à part essayer de deviner quoi faire en se basant sur ce que je leur présente. On est en pleine double contrainte : "je ne vais pas te dire clairement ce que j'attends de toi, mais si tu ne le fais pas, je serai fâché."
Ou je peux me dire que c'est pas un bug mais une feature de la pratique du jeu de rôles, me réjouir du fait que moi MJ aussi je vais être surpris par l'histoire et en profiter un max. Etre à la fois scénariste et spectateur. Utiliser les éléments narratifs sur lesquels j'ai effectivement un contrôle direct — les PNJ, les événements, les décors — pour permettre à tout le monde autour de la table, moi compris, d'avoir l'expérience la plus fun possible, quels que soient les choix des joueurs. Me dire qu'improviser est une composante inévitable de la pratique du jeu de rôles, que j'aie un script ou pas. Et préparer la partie en conséquence.
Depuis, durant les parties, mon quota éléments préparés/éléments improvisés est peu ou prou le même. Mais mon quota éléments préparés utilisés/éléments préparés pas utilisés s'est réduit à peau de chagrin. Et mon temps de préparation est bien moins important.
Je ne parle, bien sûr, qu'en mon nom.
En parlant de ça, petite anecdote un peu tangente. Lors de la Penny Arcade Expo de 2011 (ou PAX pour les intimes), il y avait une conférence appelée L'Art de la Table : Mener une Partie, Techniques Avancées. Les intervenants étaient un joli mélange de concepteurs traditionnels et de rockstars du jeu indépendant : Vincent Baker (Apocalypse World), John Harper (Lady Blackbird), Sage Latorra (Dungeon World), Jonathan Tweet (D&D 3E), Eric Mona (Pathfinder), Mike Mearls (D&D 4E) et j'en passe. Pendant les Q&R, deux arlésiennes ont été posées aux auteurs. Voici leurs réponses unanimes.
En parlant de ça, petite anecdote un peu tangente. Lors de la Penny Arcade Expo de 2011 (ou PAX pour les intimes), il y avait une conférence appelée L'Art de la Table : Mener une Partie, Techniques Avancées. Les intervenants étaient un joli mélange de concepteurs traditionnels et de rockstars du jeu indépendant : Vincent Baker (Apocalypse World), John Harper (Lady Blackbird), Sage Latorra (Dungeon World), Jonathan Tweet (D&D 3E), Eric Mona (Pathfinder), Mike Mearls (D&D 4E) et j'en passe. Pendant les Q&R, deux arlésiennes ont été posées aux auteurs. Voici leurs réponses unanimes.
Q: Qu'est-ce que je dois faire quand mes joueurs foutent ma préparation en l'air ?
R: Faites avec.
Q: D'accord, mais comment je planifie ma partie alors ? Comment je peux prévoir ce qu'ils vont faire ?
R: Ne planifiez pas votre partie. Jouez pour voir ce qui va se passer.Commentaire de Vincent Baker sur la présentation :
"L'idée que le MJ a une histoire à raconter et qu'il soit problématique que les joueurs ne suivent pas cette histoire était présente parmi les membres de l'audience, mais pas parmi les intervenants. Personne parmi nous ne pensait que le MJ doit amener l'histoire et que les joueurs doivent suivre. Nous étions tous d'accord pour dire que l'intérêt d'un jeu de rôles c'est de collaborer, et que s'il y a effectivement une histoire qui se dessine, elle émerge de la partie à partir des interventions de tout le monde, et n'est pas la responsabilité d'une seule personne."Illustration tirée de Gnomes (Southpark, saison 2, épisode 17) © T. Parker & M. Stone 2007.

Cette vision me paraît rigoureusement correcte, et mon plaisir de MJ, c'est de partager l'effet de surprise. Même si, dans ma préparation, j'ai quand même assez souvent deux coups d'avances, je ne suis jamais tant amusé que par l'improbabilité des situations et la nécessité d'improviser. A la longue on finit toutefois par en faire son cheval de bataille et de réduire la préparation au strict essentiel, question d'habitudes et bon sens.
RépondreSupprimerAnalyse pertinente. Mais il faut bien intégrer que, aujourd'hui, cette approche participative est encore bien loin d'être intégrée dans la pratique courante du jeu.
RépondreSupprimerTrop souvent l'on retrouve des MJ qui pensent avant tout en terme de "moi & eux", qui pensent qu,ils sont la pour maîtriser une partie pour leurs joueurs plutôt que de construire quelque chose avec les susdits joueurs.
Mais, si l'on se rappelle comment s'organisait une partie durant les années 80 on se souvient que le MJ et les PJ étaient le plus souvent dans une attitude de quasi opposition.
Comme toujours le temps fait évoluer les choses, reste a savoir si cette évolution se fera dans le sens défini par cet article. Car même si les références citées sont des acteurs intéressant du monde du JdR il n'en reste pas moins que c'est les joueurs, par leur nombre et leur pouvoir d'achat, qui vont déterminer ce qui va vivre et mourir, ce qui va percer ou disparaître.
Si ils pratiquent et achètent du Warham 3 on aura du W3, si ils se tournent plus vers Dogs in the Vineyard alors c'est ce genre de jeux que l'on aura.
Panem et circenses.
Le MJ qui a une histoire à raconter ferait mieux d'écrire de la fiction que des scénarios de jeu de rôle.
RépondreSupprimerDisons que ce n'est pas impossible, mais c'est surtout un bon moyen pour se retrouver avec beaucoup de frustration, tant pour le MJ en question que pour ses joueurs.
Après, je sais par expérience qu'il y a des joueurs qui aiment bien qu'on leur raconte des histoires.
Ou, comme disait Ken Hite (il y quelques temps, il est vrai): And for all their whining, most players vastly prefer a trip on the railroad searching for the McGuffin Of Seven Scenario Seeds to screwing around the tavern all night, especially if you let them toot the whistle and ring the bell every so often.
En fait, le secret d'un railroad réussi, c'est de ne pas avoir à le cacher à ses joueurs. Un peu d'honnêteté, que diable. Ca évite d'avoir des joueurs qui n'aiment pas ça traîner des pieds pendant la partie.
SupprimerTiens, quelques scénarios de Maléfices étaient très sympas pour ça : les événéments étaient prévus pour tomber à heure fixe sans que les PJ ne puissent rien y faire, et on s'en rendait très vite compte (d'ailleurs, c'était logique dans le scénario que ça tombe comme ça). MAIS une fois qu'ils tombaient, on pouvait récolter des tonnes d'infos et se servir des retombées intelligemment pour influencer le final.
Je vous renvoie à cet excellent article de Greg Costikyan sur la question "Les jeux font-ils de bonnes histoires ?" : http://ptgptb.free.fr/index.php/la-ou-l-histoire-finit-et-ou-le-jeu-commence/
RépondreSupprimerMorceau choisi :
3l’histoire est l’antithèse du jeu. La meilleure façon de raconter une histoire est une forme linéaire. La meilleure façon de créer un jeu est de fournir une structure dans laquelle le joueur aura une liberté d’action. Créer un “jeu narratif” (ou une histoire avec des éléments ludiques), c’est tenter de faire entrer des carrés dans des ronds, essayer d’inventer une synthèse entre les antithétiques jeu et histoire."
Je suis assez surprise de cette relation faite entre un scénario situationnel et improvisation. J'ai tendance à faire la relation inverse : pour moi, le scénario idéal est celui qui présente toute une situation, car il ne réserve pas de surprise au MJ. Où que les joueurs aillent, il y a un paragraphe qui décrit la situation initiale de ce lieu, qui sont les protagonistes, et le MJ peut assez facilement faire les déductions sur ce qui va se passer. Par contre, je trouve que ce type de scénario demande plus de préparation et qu'il y aura plus à jeter, puisque les joueurs n'utiliseront pas tout et qu'il faut tout décrire.
RépondreSupprimerLe scénario scripté me semble plus court à écrire (on se contente des chemins que les joueurs vont probablement suivre) mais demander plus d'improvisation (car quand les joueurs s'en écartent, rien n'est décrit). Comme quoi le ressenti peut être différent selon les MJ. Il faut aussi dire qu'un scénario situationnel, c'est souvent moi qui l'écrit, donc la réflexion est plus forte en amont que si c'est un scénar du commerce, et je ne crains pas un instant de trahir l'auteur (puisque c'est moi) en improvisant. Comme je suis paresseuse, je fais plus souvent jouer des scénarios scriptés... cela donne aussi l'avantage de préparer un final héroïque. Mais on peut aussi mixer les 2, et reprendre les joueurs avant la fin pour ce final.
J'ai un peu l'impression qu'il y a juste un soucis de vocabulaire. La plupart des termes définissant les structures et la narration dans le jeu de rôle proviennent d'autres média.
RépondreSupprimerOn en est réduit à la catachrèse pour nommer certaines techniques spécifiques au jeu de rôle. Ou alors, comme moi, à appeler "improvisation" tout ce qui s'éloigne du scénario traditionnel, parce qu'on a pas le jargon, puis à dire "impro totale" pour les cas où on n'a vraiment rien préparé du tout.
Quand tu as grandi dans un igloo fait avec des bouquins d'Eco, de Barthes et de Chomsky, il n'y a jamais juste un souci de vocabulaire. ;)
SupprimerComme disait l'autre, words means things. Quand je joue de la guitare sans partoche, j'improvise — même si j'utilise des riffs que je connais déjà. Quand je joue une fugue, même si je ne suis pas la partoche à la lettre, j'improvise pas : je développe.
Avoir une préparation qui est là pour cette séance particulière, j'ai du mal à appeler ça de l'improvisation. Mais c'est peut-être juste moi.
Flûte, j’ai commenté ça dans un post précédent, en disant que ça irait mieux si on commençait déjà par changer de vocabulaire (words DO indeed mean things).
SupprimerEn résumé, dans mes parties j’essaie de dire :
SITUATION AU LIEU DE SCÈNE
ÉPOPÉE AU LIEU DE CAMPAGNE
METTEUR EN SITUATION et METTEUR EN JEU au lieu de Maître ou Meneur de Jeu.
HISTOIRE DE GROUPE AU LIEU DE SCENARIO
PROTAGONISTES AU LIEU DE PERSONNAGES-JOUEURS
ANTAGONISTES pour les PNJs majeurs
Détails dans http://awarestudios.blogspot.fr/2012/08/scenario-vs-situation.html?showComment=1346403390643