Rôler pour la gagne : poser des questions.

Saaalut les choupis ! Alors les ouacances, bien ou bien ?

Perso je vous reparle des miennes un peu plus tard mais histoire de pas vous faire chier avec mes échecs et mon temps libre et la vraie vie - on est rôlistes, personne ne veut ça - on va attaquer direk. Vous vous souvenez y'a trois siècles, j'avais écrit deux articles, là et là, sur comment bien minimaxer, c'est à dire accomplir le double objectif a. d'être le plus fort dans ce qu'on veut faire sans b. faire chier les autres joueurs, MJ compris ?

Et si on continuait ? Genre : par l'horrible secret le mieux gardé de la rôlerie internationale ?

L'horrible secret

Ce n'est pas parce que vous êtes "juste joueur" que vous n'êtes pas narrateur.*

Pendant une partie de gidéaire, tout le monde raconte des trucs. C'est pas parce que, traditionnellement, tu ne racontes que ce que fait ton bonhomme quand t'es "simple joueur" que tu ne racontes pas quelque chose.

Pendant une partie de gidéaire même la plus trad', non seulement tout le monde raconte quelque chose, mais tout le monde est public. Et - bah oui, principe de Lumpley les gros - ça veut dire que pour qu'un truc que tu racontes "passe", soit accepté et donc devienne "vrai", se passe effectivement dans le monde fictif de vos bonhommes, il va falloir remporter l'adhésion des autres participants, et pas seulement du MJ.

Et dès que tu racontes un truc, tu peux taper dans les outils narratifs - les effets de style, les structures de récits, les tours de manche descriptifs, les trucs de mise en scène - pour que ça passe. Ca sert à rien d'autre que ça, les outils narratifs : à faire que ce que tu as envie de raconter à ton public, ça passe. Que le public l'accepte.

Bref : la plupart des conseils efficaces pour MJ peuvent te servir à minimaxer. Il suffit de viser "ce que je veux que mon bonhomme accomplisse" plutôt que "ce que je voudrais qu'il arrive aux PJ" mais sinon ça marche quand même.

Comme, je sais pas, poser des question par exemple.

Poser des questions ? C'est tout ?

Oui. Enfin : c'est déjà pas mal. Il se passe un truc magique quand on pose une question à quelqu'un : son premier réflexe est généralement d'y répondre. Or, durant une partie de jeu de rôles, ce qui est dit à propos de la fiction devient vrai dès le moment où personne ne dit rien contre. Et on dit rarement quoi que ce soit contre ce que raconte le MJ, par tradition. C'est toujours cette bonne vieille idée qu'il a "l'autorité" sur la fiction générale.

Ca veut dire que si tu poses une question au MJ à propos de sa fiction, et qu'il te répond, et que personne ne moufte, sa réponse devient vraie dans la fiction.

Comme j'ai dit : magique. Je vois bien que tu me regardes comme si je me payais ta tronche mais sérieux, réfléchis aux implications en tant que bon miximaxeur. Tu peux pousser le meujeu à raconter des trucs qui se passent comme ça, par réflexe. Limite sans qu'il s'en rende compte.

Autant en profiter, non ?

En profiter ? Mais comment que donc ?

Et bien Marise, c'est très simple : tu as un gros bonus et tu voudrais t'en servir. Mais les circonstances  sont indéfinies, ou ne sont pas en ta faveur. Par exemple : tu as boosté tes talents de ninja - acrobaties, discrétion, et si le jeu le permet un bonus à l'attaque en traître - et vous entrez quelque part, disons le hall principal de la guilde des voleurs avec le chef de laquelle vous avez maille à partir.

Le truc, c'est d'essayer de poser des questions auxquelles ton bonhomme pourrait répondre lui-même. 

Bon. Ca a l'air peut-être évident pour beaucoup, mais n'attends pas, miens lecteurtrices, que le MJ te livre tout cru des endroits où te cacher dans sa description initiale. Demande. "Est-ce que je repère un coin d'ombre ? Est-ce qu'il est accessible ?" "Est-ce qu'il y a un moyen discret d'arriver jusqu'au balcon pendant qu'ils causent ?"

Ca aura l'air moins évident, mais c'est valable pour plein d'autres gros bonus. Tu as maxé Diplo, Charme et Psycho ? Mais profites-en malheureux. "Y'a quelqu'un à qui j'attire le regard dans le coin ? Genre qui fait particulièrement attention à moi ? Et à mon avis, c'est plus parce qu'il se méfie ou que je lui plais ?" "Le type, là, ce qu'il me raconte, c'est vrai ? Je veux dire, il dit ça sans tiquer, sans sourciller ?" "A mon avis, si je lui propose ça, il accepterait ? Qu'est-ce qu'il faudrait que je lui propose, sinon, pour qu'il considère mon offre ?"

Marchandage et Escamotage ? "Qu'est-ce qui est le plus précieux ici ? Ce que je pourrais revendre le plus cher à la Fouine ?" "Si je prenais ce truc et que le fourrais dans ma poche, qui s'en rendrait compte ? Après combien de temps à mon avis ?" "Il essaie de m'entuber sur ce prix-là, ou bien ? Et si je lui propose un service, plutôt, il le prendrait comment à mon avis ?"

Mécanique ? "Si je démonte le truc, là, y'a de quoi fabriquer une arme improvisée ? Et ça je pourrais le réparer avec les outils que j'ai sur moi ? Non ? Il me manque quoi ? Et niveau pièces détachées ? Et empêcher l'alarme de sonner y'a moyen ? Pendant combien de temps ? Qu'est-ce qu'il me faudrait pour ça ?"

Et tutti quanti : avec un peu d'astuce et d'espièglerie, on peut préparer le terrain tranquilou et au pire, on est juste au courant que ça marcherait pas et on évite.

Mais si on me demande un jet ? Pis : et si je le rate ?

Ben c'est pas la fin du monde à boire, j'ai envie de te dire. Déjà parce que t'as un gros bonus, je te rappelle. Donc si le MJ te dis "lance les dés pour le savoir", t'as des chances de réussir. Et donc de le savoir.

Ensuite, je vais te filer un de mes tours de magie. Quand le MJ me demande un jet pour obtenir ce que j'ai demandé et que je ne sais pas ce que mon bonhomme risque si je rate, je demande : "et il se passe quoi si je foire mon jet ?" (et éventuellement si le jeu joue avec des niveaux de difficulté, "et c'est quoi, plus ou moins, la difficulté ?")

Neuf fois sur dix, il me répond et s'y tient. Et maintenant que je sais ce que risque mon bonhomme, je peux décider si le jeu en vaut la chandelle et, si je décide que non, dire "ouais non, finalement je le fais pas."

(S'il ne me répond pas, ou "tu verras bien", là c'est une question de goût. Perso - mais c'est juste moi - si je ne sais pas au moins vaguement ce qui risque de se passer quand je foire un jet, je repose les dés. Maintenant je suis pas difficile : me répondre "tu sais pas exactement mais promis, tu vas pas aimer mais du tout" ou "oh, pas grand chose de grave" ça me suffit.

Et généralement, les MJ qui me voient reposer les dés à chaque fois qu'ils me répondent "tu verras bien" commencent à me répondre spontanément avant la fin de la séance parce qu'on va pas se mentir : on est là pour s'amuser et que les bonhommes fassent des trucs de guedins.)

Mais c'est tricher, ça, non ?

Non, pas vraiment. En tout cas, ça reste dans les clous : tu poses des questions que ton perso pourrait se poser dans ses circonstances, et dont il est légitime qu'il connaisse les réponses. 

Si tu as +22 en Psychologie, désolé mais t'es le mentaliste, quoi. T'es imbattable au poker, tu détectes les mensonges rien qu'à l'odeur. +19 en Négociation et t'es Koffie Hannan. +23 en Manipulation et t'es Little Finger. +21 en Acrobaties ? T'es le putain d'homme-araignée.

(Oui en général je prends d20 3.X pour référence parce que raisons. Tu peux remplacer par "4 en stat, 5 en compète" au Monde des Ténèbres, "5/+3" à INS/MV 3 ou "une AV de 14" à Feng Shui si tu veux mais tu vois le niveau je suppose.)

Et le putain d'homme-araignée ne passe pas dix minutes à se demander par quelle prise commencer son escalade. Il fait ça en moins d'une seconde, et en plein vol s'il vous plaît. C'est assez légitime, finalement, de demander au MJ de décrire le monde non pas tel que le MJ se l'imagine, mais tel que le personnage le voit. Et le personnage, quelque part, voit le monde à travers le spectre de ce qui est marqué sur sa fiche. Et on fait que ça en plus : demander. 

Ca c'est pourquoi c'est justifié pour ton bonhomme. 

Quant à toi, joueur, qui pose les questions pour lui : est-ce que ça l'est ? Ben oui. C'est ta prérogative de joueur, de savoir ce que perçoit ton bonhomme et de raconter ce qu'il fait. C'est même nécessaire à ce que la partie se passe. Si ce qu'il fait c'est se poser des questions sur la situation, je trouve normal qu'il obtienne des réponses, même tarte. Et ça reste dans les limites habituelles : tu ne demandes rien que ton bonhomme ne pourrait savoir, si tu fais ça bien.

Alors on est bien d'accord : tes questions, tu les poses pour essayer d'avoir certaines réponses pour un but plus ou moins précis. Et ça peut être lourd. Mais tout peut être lourd quand on le fait trop, voir qu'on ne fait que ça. Donc j'ai envie de dire : si les gens commencent à râler, y'a des chances que ça soit pas parce que tu le fais mais parce que tu le fais tout le temps. Ou que tu râles systématiquement quand ça va pas dans ton sens. Ou qu'elles n'ont rien à voir avec la saucisse neuf fois sur dix ("est-ce que je peux hypnotiser la porte de la grange ?"). Ou quoi. Bref : que tu n'es pas fair play. Fais juste attention à ça si ça grince et corrige le tir.

(Te dire exactement où est la limite est difficile : y'a des tables avec qui n'importe quelle question passe et limite ils font que ça quand ils rôlent, et d'autres qui te regardent méchamment dès que tu demandes un truc qui sort un pitipeu du cadre et tu dois te justifier sans arrêt. J'ai envie de dire : choisis la table qui te convient le mieux et fais attention à tes petits camarades, mais je pense que c'est de base.)

Euh, je suis MJ et j'aime pas trop ça...

Pas de souci, j'imagine que tu as tes raisons.

Perso, j'adore que mes joueurs fassent ça : ça a plein d'avantages. Déjà, ça réduit les chances de malentendus du genre "ah mais j'avais pas compris qu'il y avait un trou au milieu de la pièce". Ensuite ça me donne une vague idée de vers quoi le joueur veut que son bonhomme aille - parce que je suis pas une quiche non plus, je sais reconnaître une question dirigée quand j'en vois une. Ca donne un maximum de cartes au joueur aussi, ce qui aide généralement le susdit joueur à prendre une décision plus vite et plus décisivement (et qui n'a jamais vécu les joueurs qui tergiversent pendant une heure pour savoir s'il vont parler à un type sorte de suite, parce qu'il est pas crédible).

Et puis je suis pas obligé de me torcher avec mes jouets non plus, à moi de répondre des trucs marrant pour tout le monde, moi y compris : "qu'est-ce qu'il faudrait pour le faire changer d'avis et qu'il nous file la localisation exacte de notre copain prisonnier ?" "Que tu lui livres le chef de la Rébellion." Paf.

De toute façon, même si le minimaxeur du fond m'arrache un truc qui est trop gros, trop avantageux, trop baltringue, trop tarte, trop tout ce que tu veux et que je le laisse passer quand même, y'aura bien un joueur pour moufter. Ca nous laissera une occasion de réévaluer ensemble si ça se passe ou pas.

Et si personne ne moufte ? Ben si je l'ai pas remarqué et que personne ne moufte... y'a des chances que ça soit juste bon, en fait. Qu'il m'ait rien arraché du tout, à part un truc qui se passe et que tout le monde trouve "logique", "amusant", "intéressant", "intriguant", bref : le bois dont sont faites les bonnes histoires et les parties de gidéaires agréables. 

Mais comme je disais : ça ce sont mes raisons d'adorer ça. Tes raisons de coincer, je suis curieux de les connaître : laisse un mot dans les commentaires, on en reparle. 

*Oui non c'est tout. J'en ai fait des caisses parce que ça faisait un bail qu'on s'était pas vu j'avoue.