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lundi 10 août 2015

Donjon revient sur les écrans

La nouvelle est tombée : Warner "j'ai plein de licences pour geeks mais je sais pas quoi en faire" Bros annonce un nouveau film tiré de Donjons & Dragons autour de 2017.

Scripté par le scénariste de La Colère des Titans ouh comme ça s'annonce bien.

On en discutait avec ma mie, puis avec un pote, et on est arrivé à la conclusion que c'est pas si évident que ça d'imaginer un bon film sur Donje.

Alors en bon cinéphage obsessionnel et poildecuteur semipro, comment je ferais donc si quelqu'un se pointait avec une valise pleine de billet et un contrat pour écrire le bouzard ? Je me suis demandé "c'est quoi le fond commun de D&D, les trucs que tout le monde est d'accord c'est du donje, quelle que soit son édition de référence ?" et "comment tu racontes un truc en images avec ça ?" et j'imagine le document de travail de l'équipe, la bible du film.

Ca tient en six points parce que j'aime bien Cracked. Et ça donne...

1. Pas de prophétie

Pas. De. Putain. De. Prophétie. Sérieux, "le/la protagoniste destiné par un bout de tissu pourri avec trois phrases cryptiques marquées dessus à devenir ci ou mi avant la fin du film" il n'y a rien de plus éloigné que l'esprit Donjon de base. Certes, quelques variations genre Lancedragon jouent avec mais c'est vraiment, vraiment loin d'être la norme. La norme, c'est "deviens exceptionnel à la force du poignet", pas "ça te tombe tout cuit dans le bec parce que t'es né un 32 janvril". Pas de mentor non plus, d'ailleurs. Un aventurier de Donje, ça apprend le métier sur le terrain.

À la rigueur, si quelqu'un est le récipiendaire d'une destinée prophétisée par les Anciens™ c'est le méchant. Genre au début on voit un jeune sorcier découvrir une prophétie qui annonce l'arrivée d'un maître du monde et les indices pointe vers lui ! Et ça lui fait des trucs bizarres sous son scalp et il marche sur la tronche à tout le monde car il sait qu'il deviendra le maîcre du monde et à ses yeux ça justifie tout.

(En plus c'est un peu méta parce que du coup le méchant représente aussi un peu la figure du MJ dirigiste, qui sait d'avance comment tout doit tourner et n'imagine même pas qu'on puisse faire autrement.)

2. Un vrai film choral

Pas de héros unique, mais un vrai groupe qui intéragit et dont les relations sont, en fait, le vrai personnage du groupe. Regardez Avengers, il fait ça très bien. C'est évident mais pourtant, quand on pense fantasy, on pense "héros unique" même avec un groupe de personnages large. Pour un bon film de donje, par contre, il faut vraiment mettre l'accent sur le travail d'équipe, bien faire comprendre que chaque protagoniste ne peut pas réussir tout seul, et que pas un d'entre eux est le "vrai" héros de l'histoire.

Ca ne m'empêcherait pas d'en buter un en cours de route par contre. Parce que perdre son perso c'est aussi ça, l'expérience donjon. Quitte à le buter au premier ou second chapitre - par exemple pour montrer que le méchant est dangereux - et à passer le chapitre suivant autour d'une quête pour le ramener à la vie - parce que ça aussi c'est donjon. Ou en faire un fantôme. Ou, plus subtil, bien montrer, par les faits, l'influence qu'il aura eu sur tout le groupe et bien faire comprendre, par les faits aussi, que s'il ne les avait pas rencontrés, les aventuriers n'auraient pas pu gagner. Mais ça c'est peut-être un peu trop subtil pour Donje. La résurrection ou le fantôme c'est mieux.

3. Une intrigue qui s'étale sur des décennies

C'est un peu chaud-chaud pour plein de raisons (varier l'âge des acteurs, notamment) mais c'est important. S'il y a bien un truc commun à tous les D&D du monde, c'est bien "des bouseux niveau 1 finissent puissants ou morts", ie. la montée de niveau. Et pour représenter ça dans un film qui ne dure pas 11 ans, il faut des ellipses. Il faut un prologue où les aventuriers sont des petits cons qui n'y connaissent rien et tombent sur le début de l'intrigue par hasard en allant explorer une cave abandonnée pour quelques piécettes, un final vingt ou trente ans plus tard où ils sont barons, prélats, rois-sorciers ou quoi et entre les deux, des actes qui montrent comment ils en sont arrivés là.

Ca permet aussi de faire découvrir l'univers progressivement, avec au début des scènes aux enjeux juste centrés sur les persos principaux - "est-ce qu'on va survivre à cette cave ?" - et progressivement, on élargit l'angle de vue. On s'intéresse au village du cru, puis au pays où il se trouve, puis aux relations diplomatiques avec les voisins... Le tout avec les persos au milieu, qui deviennent eux-même plus influents. Leur compréhension du monde s'élargit avec celle des spectateurs.

Ajoutez une structure en quinconce qui explore aussi l'avancée du plan du méchant et son influence, directe ou indirecte sur la vie de nos héros - influence elle aussi de plus en plus mastoc et de moins en moins indirecte, d'ailleurs - et je pense qu'on tient un truc.

4. Pas besoin d'un univers précis mais pleins de détails connus

En fait, je serais même contre l'idée de choisir Greyhawk, les Royaumes Oubliés, Eberron ou tout autre univers connu et balisé de Donje comme cadre, principalement parce que prendre l'un, c'est faire primer une édition ou une époque du jeu sur les autres, et c'est pas mon but.  Non, c'est un monde de fantasy que les gens appellent "notre monde", ou rien du tout. Tel royaume s'appelle mi, telle région s'appelle ci, mais qu'est-ce qu'on s'en carre quelque part. Tu sais que tu joues à Donje parce que t'as un clerc, un guerrier et un mage qui meulent des monstres dans un décor médiéval d'opérette.

Mais à côté de ça, Donje, tout univers confondu, c'est quand même des détails bien spécifiques qu'il faut absolument mettre dedans pour que ça goûte du Donje. Donc oui, tous les sorts à l'écran sont les sorts connus de D&D, ceux qui reviennent d'une édition à l'autre, genre missile magique, la main invisible de Bigsby, la fameuse boule de feu et autres. Oui, le clerc tourne les morts-vivants. Oui, il y a une épée vorpale.

Et surtout, des monstres par milliers, tous sortis du bestiaire monstrueux, tous ridicules mais awesome à la fois. Je veux des oursiboux, des tyrannoeils, des liches, des gobelins, des champignons à tentacules et des méduses télépathes qui volent, sinon c'est tricher. Et of course, des dragons, avec la couleur qui colle aux attributs. Et je veux qu'on me les mettent en valeur, hein. Que le réalisateur assume le ridicule mais adore quand même la bestiole. Sinon c'est pas drôle.


5. De la bonne baston

S'intéresser aux personnages, développer l'univers, tout ça, ça n'empêche pas qu'on se mette proprement sur la face !

Fatalement les bastons évoluent au fil des ellipses, au début c'est trois bouseux dans une cave contre des rats géants. Puis c'est la défense du village contre les troupes orques. Puis une bonne grosse guerre entre deux nations, avec des armées et tout. Et on termine avec les dragons, les géants, des troupes à perte de vue animées avec Massive,  un ciel rouge, des cuivres qui vibrent et des violons qui grincent et des grosses bonnes femmes qui chantent à gorge déployée, du gras gotterdammerung que seule la fantasy et la SF peuvent offrir. Mais à la toute fin, ça se résout avec nos héros seuls face au vilain.

Qui n'en croit pas ses yeux que des ex-bouseux sans prophétie (ie. scénario) lui explose sa destinée.


6. Et surtout pas trop sérieux.


C'est pas sérieux, Donje. C'est des vannes qui fusent, des remarques à la con et des moments qui cassent l'ambiance. C'est des ours avec une tête de hibou. C'est du ta gueule c'est magique (et donc impossible à prendre au sérieux). C'est une relecture bourine et irrévérencieuse d'un style ampoulé et grandiloquent. Alors dit comme ça c'est courir vers le mur, mais en fait non. De l'action-aventure drôle qui ne fout pas la tension en l'air, ça existe.

Je ne saurai trop conseiller de revoir Guardians of the Galaxy comme bel exemple de comment faire drôle sans déforcer son récit d'aventures. Sauf à la Mangouste Blanche parce que tous les goûts sont dans la nature. Ce film est arrivé à me faire rire avec des gags qui a. révèlent en fait la personnalité des auteurs/victimes et b. ne cassent jamais vraiment les enjeux parce que même si les personnages sont pas sérieux, la situation, elle, l'est. Au contraire, c'est souvent, on s'en rend compte avec le recul, de l'humour du désespoir. Et ce final, avec ce méchant super sérieux qui est tout perdu face à un héros qui n'arrive pas à ne pas faire l'imbécile, ça pourrait coller à mort.

(Et le côté méta du début retombe sur ses pattes quand le plan sensément indéboulonnable du MJ dirigiste explose en plein vol à cause des conneries des héros.)

Voilà, ça c'est mon D&D: the movie ou, en tout cas, les bases sur lesquelles je bosserais un script qui rende vraiment pourquoi les gens aiment donjon, et pourquoi toi jeune qui est entré dans la salle par hasard tu devrais essayer une partie un de ces jours. Parce que c'est un peu pour ça qu'on fait le film, non ? Pour faire plaisir aux fans, et faire connaître la marque pour ce qu'elle fait bien.

Vous vous y prendriez comment, vous ?

15 commentaires:

  1. Rhabordayl les prophéties!... Je crois que même les scénaristes d'animés ont dû décidé d'un moratoire là-dessus.

    Pour le film choral, j'ai quand même l'impression que ça implique de connaître les persos un peu d'abord, donc soit faire du caricatural – voire carrément en piochant dans d'autres œuvres, genre "Legoland l'Elfe Surfeur" – soit avoir un machin qui dure des plombes. Je ne suis déjà pas sûr de vouloir aller voir un film D&D, je suis certain de ne pas vouloir voir un film D&D de trois heures.

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    1. J'ai envie de répondre "gardiens de la galaxie". Personne les connaissait, et le film a gagné tous les sous.

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    2. Ici, non; aux US, c'était quand même connu. Mais je te l'accorde.

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  2. On m'annonce que j'ai oublié de citer le loot et l'auberge. C'est vrai, et je suis impardonnable.

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    1. Il n'y aura pas de meilleure scène d'auberge que dans Willow.
      (De toute façon, y'a pas meilleur film de fantasy que Willow).

      Pour le loot, je verrai bien un truc énorme. Genre le gosse tue une poule et se rend compte qu'elle avait bouffé un rubis. Ou un sceptre de boule de feu.

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  3. (En plus c'est un peu méta parce que du coup le méchant représente aussi un peu la figure du MJ dirigiste, qui sait d'avance comment tout doit tourner et n'imagine même pas qu'on puisse faire autrement.)

    TAIN GREG MAISCESTÇA > Une vraie adaptation de DD doit se faire avec un méchant ambigu qui manipule le groupe de héros, leur donne une tâche et leur met des bâtons dans les pattes. C'est-à-dire que le meta EST le propos, doit diriger l'écriture de fond en comble, sans pour autant sonner au final comme de la référence (pour le spectateur lambda, ce serait juste l'histoire d'un grand manitou qui est en fait le méchant).

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  4. Il y a un moyen de faire parvenir cette liste sur le bureau du directeur? Maintenant que je l'ai vue ça va changer ma façon de concevoir une bonne partie de donj' mais ça va aussi me donner des attentes probablement bien teop haute pour un film donjon et dragon. Ce que tu demande c'est presque une trilogie. Un film sur des bouseux qui vont sauver leur pote dans une cave de rats géants et décident que s'ils en sont sorti vivant c'est probablement le signe qu'il on une carrière à mener dans l'aventure, le début de la gloire dans des postes de plus en plus haut placés et enfin un final où le pouvoir c'est eux mais où toutes leurs armées et tous leur or ne les empêchera pas de devoir y aller en pesonne. Y'a un peu un parallel à faire avec Beowulf la saga nordique.

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  5. L'évolution sur des années d'aventures, j'aimerais autant la voir sur une bonne pentalogie. Mais pour le reste, j'abonde : il nous faut le Guardians de la fantasy.

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    1. L'évolution sur des années, c'est le propre d'une campagne. Un film, c'est pas une campagne, c'est un scénario. Et on ne change pas de niveau pendant un scénario (ou peut-être une ou deux fois, s'il dure plusieurs séances).

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    2. Et moi je dis, des fresques épiques qui s'étalent sur des années avec beaucoup d'ellipses ça existe - Agora, Conan, Gladiator, j'en passe - et justement, je prends le parti pris de montrer des persos monter de niveau 1 à 20 en 2h, 2h30.

      Parce que je suis trop fou et les ellipses c'est la vie.

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  6. Très bon article, merci.
    Mieux que des conseils pour la Warner, c'est une mine de conseil pour les MJs !

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Je considère que vous avez lu la page d'avertissements et je modère en conséquence.