Pages

lundi 30 novembre 2020

Violence.

Parce que je. a. suis vieux et b. ne peux pas passer tout mon temps à basher Cthulhutech non plus, laissez-moi vous parler de Violence.

(Non Kobal je peux passer juste mon temps à basher Chtulhutech. Mais j'ai pas fini. Ooooh non, j'ai pas fini.)

Vous êtes mignons, vous les jeunes, à penser que les social justice warriors, le politiquement correct, la critique acerbe de la société, la remise en cause du milieu ou les jeux pour dire du mal c'est récent et postmoderne. Ah là là. Vous allez me dire que vous avez inventé le sexe et les drogues aussi je parie.

Laissez-moi vous présenter Violence.

À l'origine

C'est un concepteur connu qui ne veut pas dire son nom. Pendant vingt ans, il a milité pour l'ars ludorum. Le jeu comme forme d'art. Peindre avec des comportements. Exprimer le monde, son point de vue du monde, par des mécaniques de jeu. Donner à la forme ses lettres de noblesse, comme on dit. Il a sacrifié son sang pour le milieu. Il a écrit des essais historiques sur la question, donné des conférences, conçu des jeux parmi les plus marquants de son genre de prédilection. Son influence est monstrueuse. Il a inventé des grammaires et des dialectiques entières pour parler de jeux. Il a été systématiquement précurseur, posant des bases que les créateurs réutilisent encore aujourd'hui sans même s'en rendre compte, tellement ses apports sont évidents et massifs. Trente lieux communs dialectiques et autant de mots de jargon que tu sors sans réfléchir en parlant de jeu, c'est lui qui les a sorti en premier. Sa définition de la notion de jeu est wikipédiable, opérationnelle et fait même référence. C'est, sans aucun doute, un des Pères fondateurs.

Et il en a ras le cornet de frites.

Parce qu'après vingt ans de labeur et de passion, vous savez ce qu'on trouve sur les étagères ? Des FPS. Des jeux de baston gore. Des jeux avec des bonnes femmes réifiées* comme des tas de bidoche, du bon gros racisme colonialiste répété à  l'envi sans réfléchir, de la violence gratuite et débile glorifiée comme la solution à tous les problèmes du monde, toujours les mêmes gameplay à une vache près et pas une once d'évolution. Les mêmes merdes, encore et toujours. Et les fans hardcore ? Non seulement ils adorent ça, mais il ne veulent RIEN. D'AUTRE.

A vrai dire ? Ils hurlent quand on fait autre chose. Pas "autre chose à la place de leurs trucs", hein. Juste "autre chose". En plus. À côté. 

Alors le concepteur se retrousse les manches et fait ce qu'il fait de mieux. Il leur écrit un jeu, à ces teubés.

En 1999.

Et parce que le type est plus new-yorkais que toi, ça tache les murs.

Et il est dispo gratuitement (en anglais) sur les internettes du réseau virtuel.

La viande

Et parce que celui que nous appellerons jusqu'au bout de ce texte Designer X est quelqu'un de talentueux et qui connaît son public de gros edgelords condescendants, le jeu est basé sur deux mots-clés qui plaisent à ce public : "outrance" et "réalisme".

Sur le mode "ah tu veux de l'outrance et du réalisme, attends." Jusqu'à ras-gueule ma poule, jusqu'à l'indigestion, jusqu'à ce que tu sentes le trop-plein au fond de la gorge et que tu retapisses les chiottes avec un jet haute pression et quelques grumeaux, et tout ça avec une méchanceté qui force le respect. Rarement directe, mais toujours personnelle.

Et l'outrance ? Si le titre te suffit pas, y'a des drogues, du sexe, une stat de résistance à la douleur pour les règles de torture et la garantie que ton perso finira troué par une cinquantaine de balles tirées à très grande vitesse par les membres d'une brigade d'intervention ou l'autre.

Le pitch : c'est un jeu de donjon. Sauf que c'est contempo. Au lieu de gober des potions, de te fourbir d'armes magiques, de défoncer les portes d'un souterrain pourri, d'y meuler ses habitants et de se barrer avec la thune, tu... gobes des pilules, te fourbis d'armes automatiques, défonces les portes d'un HLM pourri, y meules ses habitants et te barres avec la thune. Cette manœuvre de game design pourrait s'appeler "la recontextualisation du murderhobo" si le terme murderhobo** n'était pas arrivé sur le marché des mots bien après la rédaction et la publication de Violence.

Alors oui de nos jours c'est convenu, d'un certain côté, si ça s'arrêtait là. Mais non. Car ce pitch sert d'excuse pour corriger de façon humiliante une certaine conception du monde qu'on acquiert en s'élevant soi-même aux fictions pour ados et aux jeux bourrins. Violence est un jeu pédagogique. Et ce qu'il t'apprend c'est la vie, cabrón.

On en apprend tous les jours

Tu y avais pensé, toi, que la plupart des armes à feu qu'on croise en ville sont fatalement tenues par des gens qui savent pas du tout s'en servir ? Ah ben oui : fatalement. Le mot est choisi. La plupart sont illégales, et quand t'as une arme à feu illégale, en ville, tu vas où pour t'entraîner ? Au stand de tir, où on te demande tes papiers ? Sur un toit, où on t'entendra à 100 mètres à la ronde et les condés vont fatalement débarouler après 5 minutes ? Ben non. Tu vas nulle part, voilà où tu vas. Et voilà pourquoi la moindre fusillade sème des balles perdues à gauche à droite.

Et en parlant de balles perdues : encore un truc qu'on voit rarement dans un jeu de rôles. Ou dans un film d'action. Et pourtant je compte plus les parties et les films où les mecs s'arrosent en full auto pendant trois rounds avec du matos militaire. Tu sais ce qu'elles ont de particulier les munitions militaires ? Elles passent à travers les murs. Bon, les gens aussi, et c'est même fait pour, mais aussi les murs. Du coup quand tu vides deux-trois chargeurs dans une ruelle, les retraités fauchés et les mères célibataires qui vivent dans ce quartier pourri parce que c'était le seul où le loyer était abordable risquent d'avoir de mauvaises surprises.

Et pourquoi elles passent à travers les murs, les balles militaires ? À cause de la convention de Genève. Je t'ai dit ! Avec Violence, t'apprends des trucs.

Tout est du même acabit.

De grandes idées de gamedesign

Comme tous les jeux de l'auteur, Violence est bourré d'idées géniales et précursic... Prércursiv... Préc... Qui avaient dix-vingt ans d'avance.

Parce qu'on est en 2020 certes mais "designer X" a déjà inventé le pay to win depuis 19 putains d'années. Dans Violence, le MJ ne peut distribuer que des "certificats de PX officiels" à la fin de la séance, imprimés en bleu non-repro :



Ca permet aux joueurs de garder leur bonhomme de table en table, même en convention, et ce bonhomme reste legit même pour les règles de tournoi internationales, car tout pèxe gagné est certifié par un document non-repro.

Qu'est-ce qui empêche un joueur lambda d'en acheter direct, des certificats, pour booster son PJ sans devoir le jouer ? Rien, bien sûr. Et si t'as été assez con pour ne pas y penser toi-même, l'auteur, lui, est assez vénal pour te glisser l'idée dans ses pages. Subtilement. En note de bas de page là comme ça tak.

Fucking genius.

Plus simplement, vous pouvez également acheter des points de caracs à la création, en payant au MJ, pour le prix d'un dollar par point. Mais les certificats de pèxes coûtent 1 dollar pour deux points, c'est plus rentable.

Et alors la liste des monstres, mes amis.

Le bestiaire monstrueux

Ah bah oui, qui dit jeu de donj' dit liste de streums. Et comment dire.

Vous voyez ce qu'on dit ? L'intelligence, c'est savoir que Frankenstein c'est le nom du docteur, mais la sagesse c'est se rendre compte que des deux, c'est lui le vrai monstre ?

Ben voilà.

"Question à choix multiple : la raison d'être de ce chapitre est de :
a) fournir aux personnages des trucs à tuer, dans la plus grande tradition de tous les jeux de rôles partout ;
b) vous fournir des gens à humilier, torturer et tuer, bande de bâtards dépravés, histoire que vous vous fendiez la tronche avec toute cette violence par procuration, exploitant par ce fait vos désirs les plus primitifs et répugnants ;
c) vous mettre sous le nez ce qu'implique vos actes, avec le vain espoir que d'une façon ou l'autre, vous allez comprendre à quel point ça peut coller la gerbe, même si l'auteur s'attend selon toute chance à ce que vous passiez à côté totalement et vous contentiiez de ricaner bêtement à la façon de nos deux icônes vénérables de la blagounette inepte -- peut-on appeler ça de l'humour -- Beavis & Butthead ;
ou d) tout ce qui précède."

Le bestiaire, c'est juste des gens. Tu entres dans un building, tu défonces la porte pour piquer des trucs et tu trouves de tout, de l'atelier de couture clandestin à la retraitée réfugiée politique survivante du massacre de Srebrenica, en passant par le yuppie entrainé aux arts martiaux ou la mère célibataire avec deux gosses. Y'a des tables aléatoires pour déterminer, selon le quartier et le montant du loyer, le type de victime et la quantité de trésors. Oui, tout à fait, les trésors sont codés par lettres, chacune avec sa table semi-aléatoire, comme à la grande époque.

Attends, c'est sérieux ?

Mu. 

Tu veux mon avis ? L'auteur en a vraiment ras les glaouis, et je le comprends. À l'époque -- 1999 ! -- il a déjà une carrière, une vraie. Genre, des jeux primés, des articles connus, des essais fondateurs. Il sait ce qui se vend ou pas, quelle réception critique a tel ou tel truc de gidéaire. Et un éditeur vient lui demander à quoi ressemblerait l'avenir du médium pour sa collection New Style ? Sa réponse est claire : la même merde que d'habitude, en fait, mais en plus putassier. 

Mais il aussi déjà une carrière. Ca veut dire que des merdes du genre, il en a pondu, il y a participé et il gagne encore des droits d'auteur dessus. Et ce serait un pitipeu hypocrite de commencer à chambrer la profession et le public tout entiers pour des trucs dont il est aussi responsable. Alors que faire.

Taper sur qui le mérite

Quand on parle de "taper sur tout le monde" en humour, perso, je m'attends toujours à de la bonne grosse facilité. La plupart du temps c'est fait à la Bigard où quand tu fais le compte c'est marrant, les blagues sur les bourgeois ou les flics sont plutôt rares mais sur les femmes ou les gays, là, c'est le festival. "Taper sur tout le monde" c'est souvent la bonne excuse pour ressortir des blagues de beaufs sans âge, soyons honnêtes cinq minutes.

Costy Designer X lui a plutôt décidé de taper sur ceux qui le mérite.

Dans le monde de Violence, les criminels sont des crétins défoncés, la police a lâché la rampe depuis longtemps et se défoule juste de temps à autre quand on lui en laisse l'occasion, la presse vend du papier et rien d'autre, les drogues te transforment en épave, les balles perdues des connards de PJ tuent des bébés mais c'est des bébés pauvres, et les pauvres la justice s'en fout, et les riches ont toujours moins de souci avec la justice, et tout le monde s'en branle parce qu'il faut bien bosser histoire de se payer son dernier supplément de gidéaire.

Tu voulais du réalisme et de l'outrance, mange et dit merci.

Le seul gag un peu daté, c'est la cellule d'Al Quaeda sur laquelle tu peux tomber en défonçant une porte au pif. Cellule qui, statistiquement, devrait se faire substituer de nos jours par un groupuscule xénophobe proche de l'extrême droite, avec l'ambiance qui règne. Et encore, il doit rester deux-trois teubés pour se revendiquer de l'ISIL ou quel que soit le nom qu'ils se donnent cette semaine. Mais sinon que ça.

Violence est d'autant plus jubilatoire qu'il y va pour de bon. Tu sens le projet longuement mûri de vomir une bonne fois sa misanthropie histoire de faire passer le haut de coeur permanent. Mais une bonne fois, pour ne plus avoir à le faire. Avec l'obsession de ne rien oublier.

Le fond du message

Tout le monde s'en fout mais assume.

Tout le monde s'en fout que tu veuilles jouer des gros bras violents, qu'il y ait des nibards sur ta covère, que ton jeu passe des pages à détailler des règles faites exprès pour que le joueur ait l'impression de vraiment déchirer la bidoche de son adversaire avec des cartouches à grenailles ou que tes séances ressemblent surtout à "chercher une excuse pour montrer qui c'est le chef pis baston pendant deux heures".

Derrière, par contre, quand on te le fait remarquer, ou pire quand des gens en discutent de leur côté, ça serait bien que tu partes pas en total sucette à traiter tout le monde de prude ou de pas charlie ou de débile ou de manif pour tous ou quoi. Déjà parce que réagir au quart de tour, par définition, ça donne rarement l'air intelligent. Ensuite parce que tu te gâches ton propre plaisir, gars. Si c'est ton kif, c'est ton kif. Tortille pas du cul comme ça, t'as l'air ridicule. Et alors si derrière tu viens nous tirer des "uuuiii  mais la représentation du corps humains dans les arts plastiques" stop. Mais tellement.

Regarde Batrogames. Eux ils font pas semblant. Dans leurs jeux, ça baise, ça mute, ça chie et ça vomit et après ça se paie même le luxe de se rouler dans les humeurs produites par les activités précédentes. Ou Vincent Baker, tiens. Parce que oui, on peut être un gros SJW et sortir un jeu où ton bonhomme est une boule de haine et de violence. Ou tiens : Chevaliers & Sodomie. Ca c'est un titre qui assume. Et j'en passe, hein, c'est juste les premiers qui étaient à portée de bras.

Et ces jeux-là, je pense que Violence les regarde avec bienveillance.

C'est pas parce qu'il y a des nichons sur ta covère et que ton jeu est juste un défouloir hormonal qu'on te traite comme un gamin attardé. C'est juste parce que, quand on te le fait remarquer tu cries direct NAN SPA VRAI TU COMPRENDS RIEN, T4ES VRAIMENT TROP NUL. Et après tu passes trois heures dans ta chambre à écouter du slipknot et à raconter à tes potes sur discord comme tu leur a trop claqué le bec, aux prudes. Au lieu d'assumer.

Les punchlines

"Violence n'est pas très différent de Donjons & Dragons au bout du compte."

"Qu'est-ce qu'un jeu de rôles
Mon gars, si tu n'es pas au courant, t'es au pire endroit pour commencer."

"En déballant ce manuel, ou même si vous l'ouvrez un instant s'il n'est pas emballé, vous acceptez l'intégralité des conditions contenues dans cet avertissement ainsi que toute clause qu'on imaginerait plus tard et qu'on voudrait ajouter en addendum, et ces conditions valent pour vous, votre descendance, associés, membres de votre famille et toute personne partageant 98% de votre ADN ou plus (ce qui inclut grosso modo tous les hominidés à partir des chimpanzés, du coup faites gaffe)"

"Talent : Lecture
20% de la population est techniquement illettrée, pas vrai ? Et vos PJ ne proviennent pas vraiment de la portion de la population qui obtient son baccalauréat. Du coup oui, si vous voulez être capable de déchiffrer quelque chose de plus compliqué qu'un panneau "stop", vous allez devoir investir des points de talents pour ça."

"Aux yeux d'un policier en patrouille, le monde se divise en quatre catégories strictes :
- la racaille
- la racaille potentielle
- les citoyens honnêtes (rares)
- les autres flics"

"J'imagine que les débris que vous êtes voulez une table pour ce genre de trucs, histoire d'ajouter un air d'authenticité absolument factice à cette affaire."

Voilà, c'est ça Violence. Le grand papy des jeux hargneux et de mauvais goût, le papa spirituel de Kill Puppies for Satan. Et comme je disais plus haut c'est gratuit ma couille. En anglais, mais gratuit.




*"Réifier" : traiter comme une chose quand il s'agit d'une personne. 

**"Murderhobo" : le fait de réduire son personnage à une sorte de vagabond qui bute juste des gens, leur pique leurs trucs et s'achète d'autre trucs avec, rien de plus. 

Parce que ce blog aussi a une vocation pédagogique.

5 commentaires:

  1. He's alive! He's alive!
    Bon sinon ça a vraiment de la gueule graphiquement Violence truc.

    RépondreSupprimer
  2. Du génie! Merci c'est clairement un délire qui m'intéresse, il doit y avoir des beaux morceaux dans ce truc.

    RépondreSupprimer
  3. Content de voir que tu es encore vivant, avec des dents et tout. :)

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour cet article, toujours superbement bien écrit comme d'habitude ;)

    RépondreSupprimer
  5. On Facebook, people daily updates their amd-ryzen-5-3400g-3-7ghz status according to their emotions and they also used to uplood new photos on Facebook. For giving feedback, on their post, we always use comment section. For your special ones, you need stylish and long comments, which you can get from this article.

    RépondreSupprimer

Je considère que vous avez lu la page d'avertissements et je modère en conséquence.