Le nombre d'histoires qu'on peut raconter, toutes variantes comprises aussi ridicules soient-elles, est infini. Je pense pouvoir le dire sans risquer de me fourrer l'index jusqu'à l'occiput.
L'infini, c'est marrant les propriétés que ça a. Soustrayez n'importe quel nombre d'une quantité infinie, et il restera toujours une quantité infinie de trucs. Même si on soustrait l'infini de l'infini, c'est vous dire.*
Jouer à un jeu de rôle plutôt qu'un autre, c'est placer une limite sur le type d'histoires qu'on va pouvoir raconter pendant les parties de ce jeu. Les histoires vont concerner certains types de héros, certains lieux imaginaires, certains schémas narratifs plutôt que d'autres. Jouer à Dungeons & Dragons, c'est privilégier d'autres sortes d'histoires que si on jouait à l'Appel de Cthulhu.
En gros, on a pris une quantité infinie d'histoires potentielles et on en a retiré un nombre plus ou moins important. Et il reste toujours un nombre infini d'histoires racontables.
C'est pourtant une critique que j'entends souvent. "C'est limité, comme jeu." "On ne peut jouer que ces douze archétypes-là, c'est pas très créatif." "Ouais, tout le jeu se passe sur la même petite île, ça doit être chiant à force." "La Guerre des Etoiles (ou In Nomine Satanis, ou Paranoia) c'est quand même toujours la même chose."
Là j'ai du mal. La créativité, c'est pas tant les pièces qu'on a dans sa boîte à lego et comment elles peuvent s'emboîter. C'est comment on va les assembler effectivement.
Réduire le nombre d'histoires potentielles, je ne pense pas que ça réduise la créativité ou la rejouabilité d'un jeu de rôle. Ca la canalise, ça la contrôle, certes, mais quelles que soient les éléments qu'on va combiner pour construire son histoire, le nombre de possibilités est infinie.
Ca va certes déterminer le type d'histoires qu'on va pouvoir raconter — le genre, le ton, l'aspect — mais ce n'est pas nécessairement un mal. Un des aspects importants d'une histoire qui font qu'elle plaît ou pas, c'est justement qu'elle s'intègre dans une sorte de logique interne, qu'elle soit cohérente. Que certains événements, au sein de l'histoire, déclenchent toujours les mêmes conséquences, par exemple. Ou que les mêmes personnages reviennent encore et encore. Ou qu'on aborde toujours le même genre de situations.
Des séries comme House ou CSI : Whatever le font. On passe notre temps à voir les mêmes personnages faire le même genre de choses dans les mêmes endroits avec quelques divergences de ci, de là. Parfois ils cassent le moule mais pas vraiment : même si l'épisode se passe dans les rêves de House ou pendant les vacances du sale rouquin, là, avec les lunettes, il suit malgré tout un schéma connu et habituel : ils feront la même chose que pendant un épisode normal — résoudre un mystère, être infâme avec tout le monde — et ils le feront de la même façon et en suivant les mêmes étapes et la même logique. Ce n'est pas vraiment sortir du cadre : c'est plutôt jouer avec.
Et viendez me dire que des séries comme House ou CSI : your mom's living room ne sont pas des séries qui intéressent plein de gens. Et encore, je prends deux séries bien plan-plans, des "séries pour grand-mères". Mais toutes vos séries ont un schéma qui n'est jamais totalement brisé, même si les étapes changent un peu de genre ou d'ordre. Il y a une logique propre à la série — l'inventivité et le pacifisme l'emportent toujours à long terme sur la violence et le cynisme dans Doctor Who ; la routine part toujours en couille et la changer, quoi que soit le résultat et quel qu'en soit le prix, est toujours préférable à la laisser pourrir dans Battlestar Galactica. Plus de la moitié des personnages reviennent d'épisodes en épisodes. Des éléments reviennent sans cesse. On sait, en voyant deux épisodes piochés au hasard, qu'on est toujours devant la même série. Même si les personnages évoluent lentement, même si le genre de récit peut changer progressivement, même s'il y a de gros coups de théâtre en fin de saison, rares sont les séries qui se remettent totalement en cause, qui abandonnent définitivement leur routine, et qui restent intéressantes. Mieux : c'est seouvent cette routine qui fait qu'on y revient.
Restreindre le nombre d'histoires racontables avec un jeu, non seulement ça ne rend pas ses histoires potentielles moins nombreuses, mais en sus ça permet d'ajouter une certaine forme de cohérence au récit, de facto, et ça permet aux joueurs de s'habituer à cet ensemble, de développer une routine et de l'approfondir.
Parce que quelles que soient les limites narratives qu'un jeu vous "impose", votre marge de manœuvre, MJ comme joueur, reste infinie. Vous ne pouvez pas faire n'importe quoi, certes, mais dans un certain cadre vous pouvez toujours faire ce que vous voulez. Et ce cadre, aussi décrit et précis soit-il, est toujours moins important que tout ce que vous allez ajouter autour et ce que vous allez en faire.
Imaginons un jeu 1) des PJ prétirés, 2) un set précis de PNJ récurrents déjà crées et 3) des règles qui poussent toujours au même genre de récit. Toutes les tables de ce jeu racontent des histoires avec les mêmes personnages principaux, les mêmes PNJ qui interviennent pour la plupart, et les récits suivent le même genre de structure : la scène d'intro concerne toujours le même genre de situation (les héros sur une scène de crime, eg), la condition de fin de partie est relativement semblable d'une partie à l'autre (disons interpeller l'assassin, que ça réussisse ou pas), etc.
Toutes les tables auront le même indic, Sam la Grande Gueule, qui répand des rumeurs comme personne mais cherche toujours à couvrir ses miches. Toutes les tables ont le même bar en face, la Bandolière, un peu miteux, où les flics vont se jeter un godet après le job. Toutes les tables auront comme héros une sélection discrète de 8 hommes et femmes nommés et tout : "cette campagne-ci, je joue McNamara, l'alcoolique qui a des principes."
C'est un cadre construit, prêt à jouer direct une fois où on a assimilé les règles, et le MJ se concentre juste sur 1) interpréter les PNJ au mieux (ils sont déjà bien fichus, cohérents et funs) et 2) pousser l'histoire au cul et la faire rebondir (l'assassin, la victime, le mobile, la méthode, tout ça est déjà déterminé, il choisit juste lesquels combiner ensemble).
Mais c'est un "vrai" JdR. On joue par tours informels, on tape la discute sur nos persos, on raconte ce qu'ils font, dans le doute — quand telle ou telle action prédéterminée survient, comme "interroger quelqu'un" ou "étudier les indices" — on jette les dés. Les joueurs s'occupent juste de leurs PJ et peuvent juste raconter ce que ces derniers font, le MJ interprète ses PNJ et déclenche des événements pendant la partie, etc.
L'inconvénient : le contexte précis de vos histoires — les lieux, les PNJ, la structure narrative récurrents — est déjà décidé pour vous.
L'avantage : vous n'avez plus à passer trois jours pour le faire vous-même. Vous posez votre cul et vous jouez. Et parce que je pars du principe que le concepteur a bien fait son travail, les éléments qu'on vous donnent sont bien fichus, marrants à manipuler et s'emboîtent facilement.
Je serais curieux de voir comment ça tourne de table en table. "Mon McNamara c'est vraiment un gros enculé", "ah c'est marrant, à ma table, McNamara c'est plutôt un paladin déchu, un brave type qui a lâché la rampe." "Nous, on a dû le flinguer, Sam, et ça nous a fait du mal." "Ah marrant, nous notre Sam s'est marié et s'est rangé des affaires, mais on l'appelle encore de temps en temps."
Et vous ça vous tenterait un truc comme ça ?
*Enfin, plus ou moins. Il existe des ensembles infinis plus grands que d'autres. Oui, je sais. C'est la faute à Georg Cantor.

Un truc comme ceci, quoi ?
RépondreSupprimerSinon rejouer plusieurs fois le même "scénar", en variant ou non les rôles fait partie de mes phantasmes rôlistiques. Dans la même lignée : refaire plusieurs fois la même scène de suite jusqu'à ce que l'on en soit satisfait, un peu entre le tournage d'un film et l'exploration d'un jeu vidéo avec des sauvegardes | recharges fréquentes… Revenir en arrière pour changer le cours du scénar, …
RépondreSupprimerMais je ne parviens à intéresser personne avec mes délires, et comme le temps de jeu et les joueurs sont précieux, autant faire des choses plus consensuelles.
Je ne peux me retenir de partager une expérience sur le sujet : J'ai organisé un one-shoot il y a quelques temps sur l'univers d'Assassin's Creed. L'une des mécaniques reprises fut donc la désynchronisation : en cas de mort d'un des PJ, ou de non accomplissement d'un objectif, Désynchronisation et on recommence. Naturellement, en cas de blessure grave ou de risque de ne pas atteindre l'objectif, l'indication "désynchronisation imminente" venait avertir les joueurs.
SupprimerA en juger par les débriefings de mes joueurs, ce fut un grand succès.
Peut être l'occasion de concrétiser ton fantasme ?
Si le peu de matériel produit pour l'occasion t'intéresse, c'est avec plaisir que je le partage.
MJ
hey, il est intéressant ton lien Sidloenfein. Dommage que ça ne soit pas "juste" un hack de Lady blackbird, qui était déja bien conçu.
RépondreSupprimerSinon, au risque de me faire l’exégète de Gregopor, je dirais plutôt que, si un jeu doit faire vivre quelque chose de proche à un film ou un roman, il doit le considérer avant tout comme un "genre".
Dans un JDR "normal", le systeme ne prend guere (il faut nuancer, mais..) en compte le genre, car il est basé sur le "réalisme" et la "simulation" (une balle touchant le coeur peut tuer à 80 %, etc...)
alors que, dans un Polar par exemple,le héros ne vas jamais mourir avant la fin, quoiqu'il arrive...
au final, le concept de "genre" limite ce qui peut (ou devrait ou pourrait) se passer et idealement, ça se retrouve dans le systeme (par exemple, les héros ne meurent pas avant la fin dans un Polar).
Au final, ça produit un seul type d'histoire particuliere, mais mieux, et avec une variété possible très grande (voire de infinie)
Si je déforme, faut le dire hein...