Donc, comme je disais, pour moi de bonnes règles de jeu de rôles donnent des choses intéressantes à raconter dans la fiction qu'on raconte quand on les utilise. Et la première étape nécessaire, c'est fatalement de s'adresser à la fiction, c'est-à-dire de provoquer des choses qui se passent au niveau du personnage, pas du joueur.
Fatalement, c'est jamais aussi simple. On peut oublier le nuage. On peut avoir des règles qui prennent un temps fou pour retourner à la fiction, voire l'oublier tout simplement.
Exemple concret: je joue un fier guerrier et je tombe sur un goblin. Je décide de lui désacraliser proprement sa sale gueule à coups d'épée bâtarde. Mon perso lui tombe dessus par surprise donc pas d'initiative, mon perso tape direct. Ca déclenche la règle d'attaque : je jette un d20, j'ajoute mon bonus d'attaque, j'essaie de dépasser la CA du goblin.
Mon perso attaque le goblin...
...donc je jette mon bonus d'attaque contre sa CA
Imaginons que je réussisse. Deux effets : premièrement, mon personnage met en effet en contact sa bâtarde avec la face du goblin et le blesse. Deuxièmement, je jette mes dés de dégâts. Ensuite, je retranche le résultat des dégâts des points de vie du goblin.
(Et encore, j'ajoute "je touche le goblin" parce que je suis gentil : si on parle de D&D, tout ce que ça fait, c'est que le gob' perd des PV et je rappelle qu'on sait pas très bien ce que la perte de PV représente...)
(Et encore, j'ajoute "je touche le goblin" parce que je suis gentil : si on parle de D&D, tout ce que ça fait, c'est que le gob' perd des PV et je rappelle qu'on sait pas très bien ce que la perte de PV représente...)
Je dépasse sa CA, donc je touche le goblin...
Vous avez remarqué qu'à part avoir dit que mon perso a touché le goblin, on est toujours à gérer les accessoires, là ? Pour l'instant, les règles parlent toujours des ressources de jeu — le goblin dans la fiction n'a pas de points de vie, lui. C'est sa représentation matérielle — sa fiche de monstre — qui en a.
Enfin, si les points de vie du goblin tombent à zéro, le goblin est hors-combat. Enfin, après plusieurs attaques peut-être, on est revenu vers la fiction.
Les PV du goblin tombent à zéro, donc le goblin est hors-combat.
Mais il aura fallu le temps. Et tout ce que disent ces jets de dés à propos de la fiction, c'est "tu as effectivement touché le goblin." Encore, et encore, et encore. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus de points de vie, et là, les règles ont dit "le goblin est hors combat". Pas super folichon, je trouve, mais c'est juste moi.
Pendant tout ce temps où on passait des dés au dés, où les règles n'influençaient que les points de vie, les scores de compétences et tout, on a un peu perdu de vue la fiction, non ? Je veux dire, on était juste en train de jouer avec les ressources de jeu, comme dans n'importe quel jeu de société standard. On aurait pu raconter n'importe quoi, voire rien raconter du tout et ça marchait pareil. Notre attention est passée de la fiction à la table, on est sorti du nuage.
Je suppose que c'est de ça dont parlent les gens qui disent que les règles détournent l'attention du récit. Mais ce n'est pas "les règles" qui font ça : c'est "les règles qui oublient la fiction en cours de route."
Alors, ça n'en fait pas un mauvais jeu en soi. Gérer des ressources et des accessoires, ça peut être amusant — c'est ce que font tous les jeux de plateau, par exemple. Le fait de gérer les accessoires en oubliant la fiction, par contre, m'emmerde un peu — je trouve ça un brin contreproductif pour un jeu de rôle. Ce qui fait du jeu de rôle un loisir différent des autres jeux de société, c'est que le plateau de jeu n'est pas en carton, mais en paroles. Autant faire de règles qui s'intéressent avant tout à cette conversation, cette fiction partagée en temps réel, des règles qui prennent cette fiction au sérieux au lieu de l'oublier.
Alors, ça n'en fait pas un mauvais jeu en soi. Gérer des ressources et des accessoires, ça peut être amusant — c'est ce que font tous les jeux de plateau, par exemple. Le fait de gérer les accessoires en oubliant la fiction, par contre, m'emmerde un peu — je trouve ça un brin contreproductif pour un jeu de rôle. Ce qui fait du jeu de rôle un loisir différent des autres jeux de société, c'est que le plateau de jeu n'est pas en carton, mais en paroles. Autant faire de règles qui s'intéressent avant tout à cette conversation, cette fiction partagée en temps réel, des règles qui prennent cette fiction au sérieux au lieu de l'oublier.




En fait, pour la plupart des jeux que je connais, il suffit de mettre un bonus supplémentaire pour une description intéressante, et les joueurs malins sautent dessus. Ensuite tu n'oublies pas d'utiliser la description pour décrire la suite (sinon ça ne rime à rien)...
RépondreSupprimerCeci dit, c'est toujours mieux quand le jeu est prévu pour catalyser la fiction plutôt que pour contrôler si les joueurs ont rempli les conditions numériques de victoire.
Je connais des gens relativement intelligents qui ne sont jamais parvenus à sortir du schéma "contrôle", et qui font faire des jets de dés à tout va. Ils n'ont juste jamais réalisé ce qu'est l'enjeu d'une partie de jeu de rôle.
Et là où ça devient extraordinairement frustrant, c'est quand tu perds ton temps à décrire tes actions et que tu subis une défaite purement mécanique...
Donc oui aux jeux qui éduquent les MJ.
C'est une chouette formule ça "des jeux qui éduquent les MJ". Il me semblez que ça décrit bien une partie du mérite de AW/DW
RépondreSupprimerSinon, c'est moi ou je retrouve derrière tout ça ta marotte du "système naturel" ? (ou je ne sais plus comment tu l'appelais)
Ça ! Voilà. :D
RépondreSupprimerTiens et que penses-tu de "Quand on oublie les dés" (dés à prendre au sens aussi générique que nuage) ?
RépondreSupprimerHmm, c'est bien joli, mais ce n'est pas si simple. Se passer d'accessoires revient à tout faire dans la fiction, mais encore faut-il décider alors qui la contrôle. MJ ou joueurs? Hurlements, par exemple, n'utilisait pas de dés et les combats restaient ainsi purement dans la fiction, en l'occurrence celle racontée par le MJ. Moi, ça me va bien, tous les joueurs ne sont pas prêts à accepter cela.
RépondreSupprimerCa me donne idée que je livre en brut, comme ça, un genre de mi-chemin entre accessoires et fictions: et si les joueurs disposaient d'une certaine quantité de réussites? Ce serait l'expression de leurs compétences. Plus ils sont bons, plus ils ont de réussites. Mais pour les utiliser, ils doivent les décrire, sinon le MJ peut les refuser. Ca n'aurait pas besoin d'être décrit beaucoup, pour ne pas pénaliser les joueurs qui ont de la peine à s'exprimer. Du point de vue du combat, dépenser une réussite devrait suffire pour les sbires. Pour les PNJ majeurs, le MJ aurait aussi des réussites à dépenser. En fait, ça me ramène un peu aux Whimsy Cards, que je trouvais vraiment malignes, mais ici ce serait plus lié directement aux compétences.
Bref, j'arrête de divaguer et je vais me coucher.
Je ne parle pas de se passer d'accessoires. Je parle de faire en sorte que les accessoires — même les accessoires abstraits, genre PV ou XP — prennent en compte ce qui se passe dans la fiction et donne à manger à icelle.
SupprimerC'est la différence entre
"Pour faire un jet d'attaque : 1d6. Sur 4+ l'adversaire perd 1PV"
et
"Quand tu attaques physiquement un autre perso, 1d6. Sur 4+ tu le blesses (-1PV) et le MJ choisit une des options suivantes :
- il perd pied et tombe
- il prend la fuite
- il se rend
- il contre-attaque à -1"
Je ne parle pas non plus de devoir décrire en long et en large et en langage fleuri les actions de son bonhomme. Mais simplement de dire ce que son personnage fait, pas ce que toi joueur tu cherches à accomplir. "Je l'attaque" "Oui mais comment ?" Pas besoin d'en faire des caisses : juste expliquer ce qui se passe dans la fiction histoire de pouvoir rebondir dessus.
Quant à tes idées sur les succès à dépenser et les actions à déclencher, jette un œil à Apocalypse World, y'a de la bonne viande dedans à ce niveau-là.
(En gros, quand c'est ton tour de faire un coup en tant que MJ, tu as des listes d'actions (génériques, ou propres à certains types de menaces, genre les seigneurs de guerre, ou les labyrinthes, ou les coutumes). Tu en choisis une, et tu la racontes. Simple. Tiens, un joueur a attaqué un gang et a raté son coup ? Tant pis, je choisis dans la liste de gang "faire une attaque coordonnée (et infliger des dégâts comme établis dans la fiction)" : le gars derrière arrose la zone et coince le PJ dans le bunker pendant que le reste bloque la porte et balance une grenade par la fenêtre — je l'avais dit, qu'ils avaient des uzis et des grenades...)
On peut oui, encourager les joueurs à embellir la fiction eux-même.
RépondreSupprimerPendant ce temps, les règles tournent pareil qu'ils le fassent ou pas. Au bout de 100 parties, on fait quoi du point de règle qui ne sert à rien ? Je pense qu'on l'oublie.
On peut aussi faire des règles qui ne marchent pas si il n'y a pas de fiction derrière. C'est ça, pour moi, des règles qui prennent la fiction au sérieux : elles ne concernent pas QUE des trucs qui se trouvent dans le vrai monde de la table de jeu (PV, dés, etc.), mais aussi ce qui se passe dans la fiction.
Eg Dogs in the Vineyard et son conflit qui englobe parlote, action, baston et flingues. Si tu attaques quelqu'un sans décrire un minimum ce que tu fais, juste en disant "j'attaque" et en avançant tes deux dés, rien ne se passe. Si tu ne décris pas comment tu attaques, la personne en face ne sait pas ce que son perso risque : est-ce que tu lui tires dessus ? Est-ce que tu le désarçonne verbalement ? Est-ce que tu le bouscules ? Sans savoir ça, la victime ne sais pas si il peut se permettre de se prendre la baffe ou pas, et ne sait pas quels dés utiliser pour contrer.
Si c'est juste parler, c'est tentant de se prendre le coup et d'utiliser ses petits dés, pleins, parce que les retombées pour une action de parlote sont surtout positives. Par contre, si tu lui tires dessus, les retombées risquent d'aller de "blessé gravement" à "mort" et là, jouer son gros dé pour esquiver et ne rien prendre comme retombée est plus intéressant.
Si tu ne décris pas ce qui se passe, au moins au minimum, le jeu se bloque, un peu comme si tu ne lances pas les dés au début de ton tour à Monopoly.
Les dés provoquent la fiction, les dés partent de la fiction, le jeu prend la fiction au sérieux.
Juste pour signaler une traduction complète des articles originaux de Baker sur le sujet
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