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jeudi 30 août 2012

Dungeonworld — chacun son tour

Avant de commencer : Le Puits aux Esclaves de Drazhu, le kit de démo de Dungeonworld de Jason Morningstar (auteur de Fiasco) est dispo par ici en téléchargement. Normalement il contient tout ce qu'il vous faut pour vous débrouiller. Bref.

La semaine passée, je vous parlais de la structure d'une aventure de Dungeonworld — avec ses fronts, ses dangers, ses lieux et ses créatures. Pis j'ai dit des trucs bizarres comme "meneur de jeu, quand c'est votre tour..." Je m'explique.

Si vous traînez parfois ici, vous avez peut-être entendu un de mes leitmotivs : "le jeu de rôle, c'est une conversation." Tout ça se déroule informellement, avec les joueurs qui racontent ce que font et disent leurs personnages, et le meneur qui pose des questions aux joueurs, répond aux questions des joueurs et ajoute son grain de sel de temps à autre. Comme n'importe quel jeu de rôles, en fait. 

Ca n'empêche qu'il s'agit bien de tours : à un moment donné, quelqu'un a la parole. D'habitude, celui qui a la parole, c'est le meneur de jeu : c'est lui qui a l'initiative, quelque part, c'est lui qui pose la situation de départ et c'est lui qui annonce au fur et à mesure ce qu'il a prévu pour les héros. Les jeux motorisés par l'apocalypse retournent gentiment la dynamique : une fois qu'on a lâché les héros dans une situation bien merdique — disons un donjon avec une liche maléfique — à eux d'agir, le meneur suit juste derrière et balance des trucs intéressants dans leurs pattes au fur et à mesure.

Comment ça se passe ? Simple : quand tu mènes Dungeonworld — ou Apocalypse World ou Monster of the Week ou Monsterheart ou que sais-je — tu passes surtout ton temps à poser des questions aux joueurs et à répondre aux leurs. Tu ne leur balances quelque chose dans les pattes que dans deux cas : 
  • Les joueurs ne mouftent plus et attendent que quelque chose arrive, ou
  • Un joueur vient de rater un jet de dés.

Dans ce cas, tu fais une action de meneur. Là où les actions de personnages sont des trucs très structurés, avec un jet de dés et des résultats selon le niveau de succès, tes actions à toi sont plus des inspirations qu'autre chose. Ce sont des trucs comme "sépare les aventuriers" ou "prive-les de leur matos" ou "inflige des dégâts". Quand c'est ton tour, tu choisis ton action dans la liste et tu la racontes en respectant trois règles importantes :
  • Raconte ton action comme si elle était la conséquence directe de ce qui vient d'arriver dans l'histoire,
  • Ne prononce jamais le nom de ton action, et
  • Termine toujours par "qu'est-ce que vous faites ?"

Tu fais ça pour maintenir la fiction, quelque part, pour rendre le monde fictif des héros plus réel. Pour qu'on y croit, pour qu'on fasse comme si. Tu ne racontes pas :
"Bon, ben Arnaud, t'as foiré ton jet, alors Gundhar est séparé du groupe."
parce que c'est chiant comme la pluie. Non, tu dis :
"Raté ? Dommage. Grundhar le guerrier, tu balançais ta hache à la tête de l'orc, c'est ça ? Il se baisse au dernier moment et tu passes par-dessus son dos ! Les mecs, vous voyez Grundhar au contact avec un orc et d'un coup, PAF, Grundhar passe par-dessus et tombe dans le ravin sans fond ! Qu'est-ce que vous faites ?"
Ce faisant, tu fais d'une pierre trois coups : tu fais réagir le monde aux actions des personnages, tu pousses les joueurs au cul pour qu'ils fassent quelque chose et tu leur rends la main. 

Maintenant, tu as bien sûr une liste générale d'actions de meneur pour toutes les occasions (anniversaires, bar mitzva, fête laïque) mais ça devient beaucoup plus intéressant, à mon sens, quand on commence à piocher dans les actions de dangers, de lieux ou de créatures. Pour les dangers, j'en avais déjà parlé. Mais chaque créature peuplant le donjon a également ses propres actions, par exemple voici un shaman gobelin.


Si Grundhar (encore lui) m'annonce "je bourre dans le shaman, parce que c'est le plus dangereux ! Je lui court après pour lui mettre ma hache dans la face !" et rate son jet, je pourrais par exemple choisir de me cacher derrière les gobelins. Et j'annoncerai quelque chose comme 
"Tu lui cours après mais il tient la distance et saute derrière un rocher. Tu fais le tour et tu tombes nez à nez avec quatre gobelins beaucoup, beaucoup plus musclés, avec des armes solides qui te regardent méchamment. Le shaman est derrière, raconte quelque chose en gobelinoïde, te pointe du doigt et les gobelins chargent ! Tu fais quoi ?"
J'ai juste choisi mon action et a) je l'ai raconté comme si c'était la conséquence logique de ce qui vient de se passer (je serais le shaman, j'aurais été cherché des renforts, et j'avais décrit les lieux comme grouillants de peaux-vertes), b) je n'ai pas juste lu le nom de l'action histoire de rendre les choses vivantes et c) j'ai rendu la main au joueur. Et maintenant, la prochaine fois que je prends la parole, je pourrai par exemple infliger des dégâts à Grondhar ("ils se mettent à quatre autour de toi maintenant que t'es au sol ! Mange 1d6+1 dégâts !").

Les lieux aussi ont parfois leurs propres actions, comme une cave hantée (faire apparaître un spectre, murmurer des secrets à l'oreille des visiteurs, enfermer les gens) ou des pierres levées (distordre un sort lancé à proximité, attirer les objets métalliques, provoquer des hallucinations auditives ou visuelles). 

Si les fronts, les dangers et les machinations te servent de guide à long terme sur ce qui se passe pendant l'aventure, les actions servent de guide à court terme. Là où tes fronts te disent vers où la partie va plus ou moins, les actions te permettent de décider ce qui se passe là tout de suite.

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4 commentaires:

  1. Les donjons, ça n'a jamais été mon truc et je n'ai pas l'impression que Dungeonworld va changer les choses. Par contre, je trouve très intéressants tous les mécanismes que tu décris pour la construction d'un scénario pour n'importe quel jeu. Ca permet non seulement d'avoir une trame globale qui tient debout et qui avance - quoique fassent les joueurs - mais aussi des protagonistes qui ne vont pas agit au hasard (= impro totale), sans qu'il y ait besoin de passer des plombes à réfléchir à leur psychologie lors de leur conception. Je trouve tout ça très malin.

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  2. Je dois reconnaître que tu es un excellent ambassadeur de DW. Je vais essayer le scénar test dès que possible, et si ça me convient, je sens que je vais craquer sur les versions plus onéreuses...

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  3. Petit retour d'expérience : j'ai joué le kit de démo avec mon groupe habituel et ça a été une expérience fantastique.

    Et on aurait vraiment dû continuer sur notre lancée. Parce qu'il y avait pleins d'accroches de partout pour continuer.

    Mais non. Et donc, pour la partie suivante ça été tout l'inverse. On a voulu repartir de zéro, refaire des personnages et faire notre campagne à nous. Et bof, ça n'a jamais vraiment décollé, ni sur la première partie ni sur les deux suivantes (même si ça allait s'améliorant, au fil des parties).

    Et pourtant on sentait tous le potentiel énormissime du jeu. On l'avait vécu sur la première partie ! Le fun, l'extase était là, pas loin...
    Mais l'instant magique était passé, et il nous avait échappé.

    L'expérience s'est arrêtée là (parce que, la vie. Pas parce qu'on en avait marre de DW. D'ailleurs j'ai hâte de remettre le couvert).

    Ma réflexion, après coup, c'est que le côté "cadré" du kit de démo a servi de carburant pour mettre la table en immersion et nous plonger dans la partie. Tandis que pour la "vraie" partie c'était brouillon, les joueurs se sont sentis peu impliqués, lâchés dans un univers qui ne parvenait pas à prendre consistance.

    Au-delà de ça, pourquoi... quels mécanismes obscurs se sont mis en branle pour que ça se soit passé comme ça ? Quand je le saurai, j'aurai pris +2 en game desing et +1 en MJsation.

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    1. Le déroulement de la partie avec le kit de démo :

      J'ai distribué les feuilles de perso à la volée, j'ai laissé les joueurs lorgner dessus 5 min (sans rien leur faire remplir) et on a démarré la partie.

      J'ai étalé la carte de la mine sur la table (tout visible d'entrée de jeu mais sans légende), et hop, générique d'intro et lecture du texte de mise en place.

      Retour à la création de perso : choix rapide des nom, race et caracs des personnages. Puis retour à l'aventure : éboulement, nos héros s'échappent ensemble... et re-petite pause pour présenter les persos et établir les liens entre eux.

      Et ainsi de suite : on a avancé dans l'histoire, en ponctuant de petits arrêts pour compléter les feuilles de perso selon les besoins (première action, premier "qu'est-ce que j'ai sur moi", etc).

      La partie a tourné du feu de dieu.

      Pour finir en beauté, à l'approche de l'antre de *Zangdar*, j'ai proposé aux joueurs les différents liens avec la liche (tu veux le sauver de lui-même, tu as été son assistant, tu l'a trahi, ...), demandant à quel perso ils correspondaient.
      J'ai été particulièrement surpris : les joueurs ont totalement accroché, ça a épicé la scène finale !

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