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lundi 6 février 2012

Mener à plusieurs, 1ère partie — avant de jouer



La table de jeu de rôle menée à plusieurs mains, c'est un peu comme le plan à trois : tout le monde en parle, on y pense souvent, on le fantasme à crever, les bouquins de conseils en parlent sans arrêt et quand on s'y met pour de bon, c'est souvent maladroit et décevant pour tout le monde.

Et comme pour le plan à trois, mener à plusieurs mains ça repose sur la confiance et le respect mutuels, l'attention portée aux autres et la motivation non feinte de tous les participants. En pratique, voilà comme je fais pour réussir une partie menée à plusieurs mains (avertissement : ces conseils peuvent s'appliquer pour un plan à trois réussi — ou pas).

(Pour éviter la tartine indigeste, l'article sera posté en deux fois : ce qu'il faut faire avant de commencer la campagne et comment on s'en sort pendant qu'on joue.)

AVANT TOUTE CHOSE
Parlez-en à toute la table. Que les MJ volontaires lèvent la main! Vous n'êtes pas obligé de tous mener la partie : certains peuvent rester "simples joueurs", ou "simples meneurs". Mais c'est également possible de mener et de jouer tous ensemble en même temps.

Laissez tous tomber l'idée d'écrire toute votre histoire à l'avance. Concevoir son scénario en "introduction — scènes — grand final", ça peut marcher quand on est seul à la barre. Quand on mène à plusieurs, c'est juste impossible : tout ce que ça va créer, c'est des tensions contradictoires pendant la partie. Acceptez que, pour le coup, les meneurs ne savent pas plus que leurs joueurs comment la campagne va se terminer. Ni même comment, exactement, elle va se dérouler. Jouez pour découvrir tous ensemble se qui va se passer, pas pour imposer votre idée de l'histoire aux autres.

"Ne pas écrire son histoire à l'avance" ça ne veut pas dire "arriver à la partie les mains dans les poches". Vous allez tous préparer votre pan de la campagne. Que chacun se munisse d'un cahier de notes — évitez les feuilles volantes : quelque chose de relié, classeur, cahier de prépa, cahier atoma (très pratique). Vraiment. Si si, vraiment. On se dit souvent "tout ça tient dans ma tête", mais après trois mois de campagne à revoir ses plans et à intégrer les actions des joueurs, c'est vite le bordel.

Choisissez un jeu que tout le monde connaît et qui plaît à tout le monde. Au moins assez pour pouvoir mener une scène un peu animée, avec jets de dés et tout, sans devoir retourner au bouquin de règles toutes les 30 secondes. Vous voulez aussi des joueurs motivés. Prenez un jeu que tout le monde kiffe : si quelqu'un vient à contre-coeur, c'est fichu d'avance.

PREPARER LA CAMPAGNE
Echangez vos envies. La plupart des jeux de rôle permettent de raconter pleins d'histoires différentes. Partagez vos envies. Concentrez-vous sur l'aspect qui vous intéresse le plus. Si vous jouez à Ars Magica, le jeu de magiciens reclus et méthodiques dans une Europe médiévale, dites quelque chose comme "je veux jouer des bastons, avoir un mage qui lance des boules de feu et des servants balaises avec des grosses épées", ou "moi, ce qui m'intéresse, c'est la recherche magique, passer du temps dans mon labo, récolter des ingrédients pour mes potions", ou encore "je veux du soap, des rivalités entre sorciers, des amitiés tragiques, des amourettes impossibles avec les servantes". On respecte les envies de ses petits camarades. Le premier qui se moque d'une envie ("wah, le soap c'est complètement fiotte", ou "ah ben tiens, encore du bourrin") c'est un coup de journal sur le nez comme premier avertissement. 

Concrétisez vos envies ensemble. Maintenant que tout le monde a mis sur la table ce qu'il veut voir dans la campagne, demandez-vous comment vous allez représenter ça concrètement pendant vos partie. Si un joueur veut du bourrin, il lui faut un adversaire, et un adversaire puissant, solide et motivé, qui puisse tenir une campagne entière, comme un duc voisin et belliqueux. Si un joueur veut du soap, il faut un casting étendu pour votre campagne, pleins de gens sentimentalement compatibles (ou non) et des obstacles à leurs relations, comme des autorités absolues qui interdisent ce genre de choses. Si un joueur veut passer du temps dans son labo, il lui faut des forces invisibles qui rendent sa tâche compliquée, comme des lois magiques qu'il pense pouvoir braver, ou des esprits qui font foirer les expériences.

Partagez vos fronts. Par "front", j'entends "représentation concrète de l'envie d'un joueur". Si je veux du bourrin et que je m'occupe du duc, j'ai un conflit d'intérêt. Je sais ce que le duc va faire, j'ai aucune surprise, c'est chiant. Si par contre, c'est un autre meneur qui s'en occupe, je vais pouvoir jouer mon personnage à fond, et lui pourra jouer le duc à fond. En échange, je m'occuperai du qæsitor de l'ordre d'Hermès, ce genre de juge-juré-et-bourreau qui mettra des bâtons dans les roues de ses envies à lui d'amourettes entre ordres rivaux.

Préparez vos personnages et développez vos fronts. Maintenant qu'on en est là, on prépare la campagne comme n'importe quelle campagne, sauf qu'on est joueur et meneur : on crée donc son (ou ses) personnages et on prépare son pan de la campagne, son front. Préparer un front, c'est pas trop compliqué :

  • commencez par son PNJ majeur, celui qui est derrière tout ça : le duc, le qæsitor, le démon, etc. Donnez-lui une motivation claire : prendre possession des terres, respecter la tradition à tout prix, corrompre un maximum de mages... Donnez-lui un obstacle à cette motivation : le père du duc est un ami du roi et voit la guerre d'un mauvais œil, le qæsitor est le rival du chef de l'alliance des joueurs et ne peut pas marcher sur ses plates-bandes, le démon ne peut pas prendre forme matérielle, ce genre de choses.

  • dressez la liste de ses ressources : ses richesses, ses terres, ses bâtiments, ses hommes de main, son armée, ses sorts, ses alliés politiques, ses pouvoirs etc. Restez dans le vague, genre résumez chaque point en un mot ou une phrase, mais dressez bien la liste, avec pleins d'item dedans : des PNJ, des trésors, des endroits... Ca vous servira d'inspi quand vous devrez improviser un brin. Et vous allez devoir.

  • donnez-lui un ou plusieurs plans d'action. Quelque chose de précis en plusieurs étapes, chacune découlant de la précédente : le duc va d'abord espionner l'alliance des PJ, puis il va commencer à saboter l'alliance avec ses gens infiltrés, puis il va lever une armée et préparer un siège, et enfin il va lancer l'assaut sur la forteresse des joueurs. 


Voilà, c'est bon. Chaque meneur a son ou ses fronts, chaque joueur a son ou ses personnages, ceux qui font les deux ont les deux. On est prêt à se lancer. 
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9 commentaires:

  1. Apocalypse World, quand tu nous tiens...

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  2. Le principe de fronts, c'est génial. C'est mon unité minimale de préparation. Avec ça, tu peux 1) avoir des trucs à dire quand tu mènes sans trop suer et 2) ne pas tirer une tête jusqu'au carrelage quand tes joueurs font de toute façon ce qu'ils veulent.

    (J'ai toujours trouvé, en tant qu'MJ, que se plaindre de "ouah, mes joueurs me niquent MON scénario" ça fait un peu le gamin qui arrive pas à prêter ses jouets. Si tu veux pas que tes personnages principaux foutent le souk dans ton intrigue, écris un roman, quoi, pf.)

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    1. Ou, comme disait l'autre : "en tant que MJ, je ne fais pas de plans. Mes PNJ en font, ça me suffit."

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  3. (Sinon, les poteaux qui savez, vous remarquez que je n'ai pas prononcé le mot en "AW" une seule fois sur ce blog. C'est un défi personnel.)

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    1. Ah zut non, j'en ai parlé dans mes bonnes résolutions.

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  4. Je suppose que tu connais l'anthologie "No-Press RPG" et, notamment le fabuleux jeu WTF? qui est prévu pour émuler les animés nawak à la FLCL et où tu as un PJ (le personnage) et plein de MJ (les réalisateurs).

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    1. Non, mais maintenant oui. Je vais éplucher ça, si ça tient ses promesses ça peut être grandiose.

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    2. Si je me souviens bien, ça ne les tient pas, mais c'est rigolo à lire et l'ouvrage contient beaucoup d'autres jeux très sympas.

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  5. On avait fait un double à INS mais on n'a pas prolongé outre mesure. (5 ou 6 parties, probablement) L'autre MJ avait envie de développer *son* truc et je lui ai laissé les rennes.

    Les principaux avantages qu'on en a tiré sont un solide brainstorming qui rendait les parties plus riches, et la capacité à gérer le roleplay de façon plus fluide. (se donner la réplique, gérer deux conversations en même temps) C'est aussi pas mal quant il faut splitter le groupe. (bien pour le ninja specialist)

    A refaire je m'y prendrais autrement, plus comme ce que tu mentionnes ici.

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