Il faut que vous sachiez une chose : en tant que MJ, je suis une grosse feignasse. Mon premier critère quand je choisis un jeu de rôle à mener, c'est "est-ce que le temps de préparation entre deux parties n'est pas trop long ?" et par "trop long" j'entends : plus d'une heure. Vous comprendrez pourquoi mes jeux de prédilection sont Feng Shui, Star Wars ou Apocalypse World.
Ceci dit : les points de vie, donc. à D&D, c'est le nerf de la guerre. Tout tourne autour, et on peut juger l'efficacité de tout ou presque à l'aulne de "combien de PV est-ce que ça fait perdre ?" ou "combien de PV est-ce que ça me permet de garder ?" ou "combien de PV je peux récupérer avec ça ?"
Enfin : du point de vue des joueurs, en tout cas. Pour le MD, c'est un brin différent, mais pas vraiment.
Rythmer sa partie
Un Maître du Donjon, un bon un vrai, interprète certes ses monstres du mieux qu'il le peut, en les rendant vivants et vraisemblables et en s'investissant un minimum, mais il ne s'attache pas, comme un seigneur du Mal ne s'arrête pas pour s'inquiéter de la santé de ses hommes de mains. Les points de vie des monstres répondent à une seule et même question : si les joueurs bourrent dedans, combien de temps tiendra-t-il ? Suffisamment pour les faire fuir ou les tuer, ou juste le temps de les retarder ?
Au final, les points de vie servent à rythmer la partie. Vous voulez que la rencontre dure longtemps ? Donnez pleins de points de vie en face. Si vous voulez que ça dure 1 échange-même-pas, donnez-en moins. Combien de points de vie exactement ? C'est une simple question de probabilités.
Brise-vitesse ou mur infranchissable ?
Pour chaque personnage : calculez combien de points de dégâts ils infligent en moyenne par coup. Le guerrier avec son +2 en force et son épée longue à 1d8 ? La moyenne d'un dé, c'est son nombre de face+1 divisé par deux* : le guerrier fait 6,5 points de dégâts par attaque. Le clerc avec sa masse à 1d6 ? 3,5. Et ainsi de suite.
Ensuite, ajustez selon ses chances de toucher. C'est un peu compliqué pour les éditions historiques, mais depuis la 3ème édition, c'est du beurre : toucher une CA moyenne (10) sans bonus d'attaque c'est une fois sur deux. Chaque +1 à l'attaque ajoute 5% de réussite. Le guerrier a un bonus d'attaque de +3 : il touche une CA de 10 65% du temps. Il inflige donc en moyenne 65% de ses dégâts par attaque, soit 4,2 points de dégâts par tour. Le clerc a un bonus d'attaque de +1, il touche donc 55% du temps, et 55% de 3,5 ça nous donne à peu près 2 points de dégâts par tour.
On fait ça pour tous les membres du groupe et on totalise : le groupe fait en moyenne et sans forcer quelque chose comme 9,5 points de dégâts par tour. Et ça veut dire quoi ? Ca veut dire qu'une rencontre à 10PV tient un tour en moyenne. Parfois deux, parfois même pas un. Ca veut aussi dire qu'une rencontre à 20PV tient deux tours, et une rencontre à 30PV en tient trois.
Même pas besoin de points de rencontre ou quoi ou qu'est-ce. Ca marche même avec la boîte rouge, n'importe quel rétroclone ou, vu qu'on joue tous à D&D sans le savoir, avec 90% des jeux de rôle. Et c'est pas tout.
Calculer tout le reste
Vous savez combien de PV vous donnez à votre monstre, mais le reste ? Le reste dépend, comme tout dans D&D, de ce total. Historiquement, un monstre a en général 1d8 — soit 4,5 — points de vie par niveau.
Pour la plupart des éditions, c'est tout ce qu'il vous faut : divisez le total de points de vie par 4,5 — arrondissez à 4 si vous êtes gentil, ou à 5 si vous êtes méchant — et vous obtenez le niveau du monstre, et donc ses chances de toucher une CA de 0, ses dégâts, ses sauvegardes en moyenne, etc.
Sinon, choisissez simplement des monstres qui ont le même total de points de vie que celui que vous désirez. Votre groupe fait 9,5 points de dégâts par tour ? Si vous voulez une rencontre qui dure et fasse bien peur et qui tienne au moins 3 tours, il vous faut un monstre qui a au moins 30-40PV. Vous avez l'embarras du choix.
Un petit tour sympa avec les compétences
J'entends d'ici les gens qui pleurnichent : "ouiii, mais donj' c'est pas juste de la baston, parce que tu vois, moi et mon groupe on joue surtout roleplay, on évite les combat tout ça." Pas de souci. Ca marche pareil, avec un petit tour de porc que j'ai trouvé sur le blog de Rob Donahue (en anglais). Pourquoi ne pas gérer les jets de compétences comme des attaques ?
La théorie : vous choisissez les PV de la rencontre selon le temps qu'il faudra aux joueurs pour la résoudre — par belle ou par laide. Un jet de compétence bien placé peut aider les personnages à vaincre la rencontre, peut-être même sans combattre. Donc : on peut estimer le nombre de jets de compétence nécessaires pour passer une rencontre selon les PV de la rencontre.
La pratique : c'est plus facile avec les éditions 3 et plus, où les jets de compétence sont des tests opposés à des jets de protection, comme le combat, mais ça doit être transposable aux autres éditions. Le truc : chaque jet de compétence réussi fait perdre des PV à votre rencontre.
Combien ? Puisqu'un non-combattant fait en général 1d4 de dégâts, un semi-combattant 1d6 et un combattant 1d8, disons que si vous ne possédez pas la compétence vous faites perdre 2 ou 3 PV par jet réussi ; si vous possédez la compétence ou que c'est une compétence de classe vous infligez 3 ou 4 PV par jet réussi ; et si vous possédez la compétence ET que c'est une compétence de classe vous infligez 4 ou 5 PV par jet réussi.
Bien entendu, vos dégâts évoluent avec votre niveau : vous trouvez des armes magiques, des sorts plus puissants, etc : histoire de faire simple, ajoutez le niveau du personnage à ce total. Et puisque le jet de compétence sert à éviter le combat, au moindre échec la cible se rebiffe et on passe irreversiblement en mode baston. A ce moment-là, on gagne ou on fuit, plus question d'utiliser une compétence pour faire perdre des PV. C'est mon épée dans ta face ou rien.
En pratique : vous jouez un voleur de niveau 3, et vous infiltrez un château fort. Il y deux gardes à l'entrée, 10PV chacun. Vous tentez de passer sans vous faire voir et vous réussissez votre jet de Discrétion : vous faites donc perdre 7,5 PV aux gardes, soit 3,75 PV chacun. Vu qu'il leur reste encore des PV (6,25 chacun pour être précis), vous n'avez pas encore franchi la porte.
(Si les virgules vous gonflent, arrondissez selon votre humeur.)
Instinctivement, vous me dites : "mais c'est stupide ! Si je baratine le garde, il sera en mauvaise santé après ?" et là, je vous rappelle : les PV d'une rencontre ce n'est pas sa santé, mais combien de temps la rencontre est sensée durer. C'est juste mécanique, remember ?
Et même : imaginez qu'à moitié infiltré, genre perché sur l'arche au-dessus des gardes, sans qu'ils vous aient vu, vous vous décidez à attaquer. Ou alors que vous embobinez les gardes avec une histoire à dormir dehors, vous en profitez pour les poignarder sans prévenir. Est-ce que l'effet de surprise n'est pas suffisant à justifier un +3,75 points à vos dégâts ?
Une fois ce principe de base établi, bien sûr, vous pouvez l'affiner à l'envi. Quelques pistes :
- Modifiez les "dégâts" selon que la compétence est appropriée ou non. Baratiner le chef des voleurs ? Approprié, pleins dégâts. Baratiner un orc ? A la limite, mais moitié dégâts si on parle pas la langue. Baratiner un ours-hibou ? No way.
- Dans le même ordre d'idée, et pour inciter les joueurs à ne pas toujours utiliser leur plus haute compétence : chaque utilisation successive de la même compétence lors d'une même rencontre ajoute -1 aux "dégâts".
- Faites lancer les "dégâts" par les joueurs ! Faites noter à vos joueurs les dés de "dégâts" selon leurs compétences : 1d4 pas entraîné, 1d6 entrainé mais pas de classe, 1d8 entrainé et de classe, plus niveau.
- Doublez les "dégâts" sur un critique !
- N'oubliez pas les synergies de compétences, même entre joueurs. Au lieu de faire perdre des PV à la rencontre, un jet de compétence peut servir à ajouter un bonus au prochain jet de compétence. A vous de décider : un simple +2 au prochain jet, ou bien +1dX (selon les "dégâts" de la compétence utilisée pour filer un coup de main), ou bien le niveau de l'aidant, ou n'importe quelle autre variation qui vous convient.
En conclusion
Puisque D&D n'arrive pas à se décider sur qu'est-ce qu'un PV, autant ne pas le faire non plus et profiter du côté abstrait de la chose pour équilibrer vos rencontres — ou pas — et rythmer au mieux vos parties. Vous allez voir, les PV-comme-argent-pour-acheter-les-ennemis, c'est facile, rapide, flexible et efficace.
(Pour les petits malins : oui, c'est exactement ce que font les règles de HeroQuest avec leurs points d'action.)
*J'ai menti. Je veux dire : la vraie moyenne d'un dé, c'est la somme des scores de ses faces divisée par le nombre de faces. La moyenne d'un dé à six faces numérotées de 1 à 6 c'est donc : (1+2+3+4+5+6) /6. Ce qui fait 3,5. Tout comme la moyenne d'un dés à dix faces numérotées de 1 à 10, c'est : (1+2+3+4+5+6+7+8+9+10)+10. Soit 5,5. Tant que vos faces sont numérotées dans l'ordre, de 1 à beaucoup, le coup du "ajoutez 1 au nombre de faces, divisez par deux" marche assez bien.
Dans HW, le pool défensif est calculé selon la compétence employée pour résister à l'"attaque". Ici, un barbare est curieusement plus résiliant au baratin qu'un roublard.
RépondreSupprimerJ'aime bien le concept, mais je serais plus convaincu si on retirait directement une fraction des pv selon la situation de départ du combat.
Pris par surprise ? -50% des pv d'entrée de jeu.
Mais là, le roublard tire tous les bénéfices, en ajoutant cette pénalité à la puissance de son backstab.
Y a probablement un truc à faire avec ça. Je crois que je vais le tenter pour ma prochaine campagne.