(Où l'auteur se tape un petit 38° et n'a plus toute sa tête pour juger)
Cet article parle du concept le plus important qui soit dans la conception de jeux de rôle et je ne plaisante pas. Je peux me tromper mais nom de dieu, j'ai vraiment pas l'impression de le faire. Tous les articles précédents étaient juste là pour que j'arrive à comprendre et expliquer ce qui suit. Avant toute chose, petit rappel de barème.
Cet article parle du concept le plus important qui soit dans la conception de jeux de rôle et je ne plaisante pas. Je peux me tromper mais nom de dieu, j'ai vraiment pas l'impression de le faire. Tous les articles précédents étaient juste là pour que j'arrive à comprendre et expliquer ce qui suit. Avant toute chose, petit rappel de barème.
(Tout ça = mon avis, mais ai-je vraiment besoin de le préciser.)
Alors, comment qu'elles font, les règles, pour tilter la conversation vers ce que les concepteurs trouvent intéressant ?
Où l'auteur fait des petits diagrammes.
Laissez-moi vous présenter le nuage et les dés. C'est une façon de présenter les choses pondue par D. Vincent Baker. Vous vous en êtes doutés.
Donc, d'un côté, on a une conversation qui parle d'un univers imaginaire avec nos personnages dedans. C'est le nuage. De l'autre côté, on a les accessoires : les dés, les fiches, les pions... Qu'on va symboliser par les dés. Au milieu il y a nous, les joueurs.
Et pour que ça soit bien clair : dans un jeu de rôle, l'important c'est ça.
C'est pour ça qu'on joue. Les fiches, les scores, les dés, le background, le scénario du MJ, et tout : juste là pour avoir des trucs intéressants à raconter, pour alimenter le nuage. C'est ça qui fait qu'on joue à un jeu de rôle et pas à un autre type de jeu de société.
Et entendons-nous bien, ce nuage, c'est pas une abstraction genre "l'espace narratif partagé" ni rien. C'est quelque chose de tout con : c'est bêtement la conversation qu'on a à propos de nos personnages et de leurs péripéties. C'est tout ce qu'on dit tout haut et qu'on décide de considérer comme "vrai" pendant la séance tous ensemble : Golarion, Lafindel et Rodrik existent, sont dans un souterrain, meulent des gobs, etc.
Bref. Pour qu'un jeu de rôle fonctionne, la toute base, c'est que certains événements qui se passent dans l'histoire déclenchent certaines règles. C'est la toute base, parce qu'il faut que les règles supportent l'histoire qu'on raconte, qu'elles la prennent au sérieux. Mon personnage attaque quelqu'un, donc on sort les règles de combat. Mon personnage tombe sur une horreur cosmique absolue, donc on fait un jet de santé mentale. Mon personnage reçoit des soins, donc il regagne des points de vie.
Mon personnage tape le goblin, donc je jette les dés
Les règles, une fois utilisées, nous donnent des détails à raconter dans la fiction. Mon coup a fait plus de dégâts que les points de vie du goblin, donc il est mort. J'ai raté mon jet de santé mentale, donc mon personnage devient fou. Moins il y a d'opération à faire pour revenir vers le nuage, moins on risque de reporter son attention du nuage vers les dés, et mieux c'est.
J'ai épuisé les PV du goblin, donc il est hors-combat
Dans le meilleur des mondes, l'auteur a conscience de ça, et a conçu ses règles pour que les événements fictifs qui déclenchent les règles et les détails que les règles envoient dans la fiction soient intéressants. Les règles ont des choses à dire sur des sujets particuliers, en gros. L'Appel de Cthulhu a des choses à dire sur le fait d'être confronté à une horreur cosmique, Donjons & Dragons a des choses à dire sur comment on explore et on se bat dans un monde de fantasy, 3:16 Carnage dans les Etoiles a des choses à dire sur le fait d'être un marine spatial chargé de xénocider la galaxie toute entière. Et on va espérer ce que c'est intéressant.
(Le pire restant les jeux qui ne savent pas exactement ce qu'ils racontent et décide de parler d'un peu de tout, mais n'importe comment.)
En Pratique
Dans ce modèle, comment est-ce que le jeu participe à votre conversation ? Comme tout le monde, 1) en choisissant de quoi on va parler et 2) en ayant des trucs à dire dessus.
1. En disant quand on jette les dés. En déterminant quel événement de la fiction va déclencher une règle, et laquelle. Genre je n'ai rien à foutre de la romance, mon jeu ne parle pas de ça, donc rien qui ne tourne autour de la séduction, du sexe ou des sentiments amoureux ne va déclencher un jet de dés. Si vous voulez en parler, débrouillez-vous tous seuls, les règles n'ont rien à dire d'intéressant là-dessus.
1. En disant quand on jette les dés. En déterminant quel événement de la fiction va déclencher une règle, et laquelle. Genre je n'ai rien à foutre de la romance, mon jeu ne parle pas de ça, donc rien qui ne tourne autour de la séduction, du sexe ou des sentiments amoureux ne va déclencher un jet de dés. Si vous voulez en parler, débrouillez-vous tous seuls, les règles n'ont rien à dire d'intéressant là-dessus.
2. En décidant quel genre de détails les dés vont renvoyer à la fiction. Genre si je veux que mon jeu parle du prix de la violence, quand j'attaque quelqu'un (la violence), les dés me renvoie une chance non-négligeable de m'en prendre une en retour, ou en tout cas de provoquer des conséquences néfastes pour mon personnage (le prix).
Exemple concret. L'Appel de Cthulhu parle de la folie et de se confronter à l'horreur cosmique absolue. Il a à dire sur le sujet que a) plus ce qu'on a sous le nez nous fait comprendre qu'à l'échelle de l'univers, nous ne sommes rien, plus c'est grave, b) c'est cumulatif, et chaque rencontre nous fait nous approcher de la folie, c'est quasi sans espoir et c) ça nous apporte malgré tout quelque chose en retour, un savoir utilisable.
Donc a) quand dans notre conversation un personnage est confronté à une horreur cosmique, il fait un jet de santé mentale, et plus l'horreur est cosmique, plus les conséquences seront graves. S'il rate ce jet, il devient temporairement fou.
Donc a) quand dans notre conversation un personnage est confronté à une horreur cosmique, il fait un jet de santé mentale, et plus l'horreur est cosmique, plus les conséquences seront graves. S'il rate ce jet, il devient temporairement fou.
Mon perso croise Cthulhu, donc je fais un jet de SAN.
Je foire mon jet de SAN, donc mon perso a une crise de folie.
b) en plus de devenir temporairement fou, il perd des points de santé mentale. Quand ces points sont à zéro, il a définitivement perdu la boule, plus de retour possible.
Je n'ai plus de points de SAN, donc mon perso est définitivement loco.
c) s'exposer à une perte de santé mentale permet (parfois) de gagner des points dans la compétence Mythe de Cthulhu, dont le maximum est inversément proportionnel au score de santé mentale. Utiliser cette compétence avec succès demande au MJ de vous fournir des infos pratiques et concrètes sur tel ou tel danger cthulien.
Mon perso a lu le Nécronomicon, donc il perd de la SAN
et gagne des points en Mythe de Cthulhu sur sa fiche.
J'ai réussi un jet de Mythe de Cthulhu,
donc mon perso sait quelque chose d'utile.
Donc voilà. Un jeu de rôle, c'est une conversation et le concepteur du jeu participe à cette conversation, à travers les règles. La raison de choisir tel ou tel jeu, c'est de faciliter cette conversation et de la rendre la plus intéressante possible. Et ce n'est possible que si le jeu sait quand prendre la parole à propos, et qu'il a des trucs intéressants à dire sur le sujet qui l'intéresse. C'est-à-dire qu'il prend la fiction au sérieux : c'est elle qui dit quand on jette les dés, et c'est d'elle dont parle le résultat des dés, de la façon la plus intéressante possible.
Tous les diagrammes sous licence creative commons attribution : idée originale de D. Vincent Baker, réalisation graphique Greg Pogorzelksi.






J'ai beaucoup de pensées à la lecture des deux derniers messages, mais ce sont de tellement gros morceaux que…
RépondreSupprimerJe vais donc commencer par un peu de pinaillage, cela fait toujours du bien ;)
Tes exemples confondent l'espace narratif partagé, la fiction, avec la conversation. Tu le dit très bien : les règles modèlent _la_conversation_ ; la conversation n'est pas la fiction.
Arch-exemple pour illustrer la différence : Polaris. Là les règles modèlent presque uniquement la conversation (toutes les phrases clés, les séquences de conversations balisées), très peu directement la fiction (le background de base, la création des personnages et, en cours de partie, uniquement lorsque l'on recourt au dé sur un It Shall Not Come to Pass?).
Bien entendu, la conversation et la fiction sont indissociablement liées. Surtout la fiction. Tout ce qui arrive dans la fiction vient de la conversation ; la conversation est plus large.
Il me semble que la distinction est utile.
Par contre, par rapport aux explications (du moins celles que je connais) de Vincent Baker, la suppression des joueurs des diagrammes et des explications est une grande simplification utile que j’apprécie grandement. Bravo !
Et maintenant, quelque chose de complètement différent… Définis-tu quelque part ce que tu veux dire quand tu écris « histoire » ? Veux-tu simplement dire « ce qui se passe dans la fiction » ? ou as-tu une définition plus spécifique ?
Finalement, je pense qu'il y a un conflit entre faciliter la conversation d'une part et la rendre intéressante de l'autre. Je ne dis pas que ces deux objectifs sont opposés, mais qu'il y a des zones où la rencontre n'est pas aisément harmonieuse. (Déjà que chacun de ces objectifs est empli de contradictions internes…)
Je me rends compte que j'ai écrit des âneries sur Polarisen voulant aller trop rapidement (je vous laisse deviner si je les ai également _pensées_…) : les règles modèle d'une part, principalement et directement, la conversation, d'autre part comment se passe l’interaction conversation-fiction (quelle part de conversation a effectivement autorité sur la fiction), et finalement peu directement sur la fiction.
SupprimerSur la conversation vs. la fiction : est-ce que je fais la différence ? C'est quoi l'histoire ? Quelque part un peu mais pas tant.
RépondreSupprimerCe que j'entends par l'histoire c'est a) ce qu'on a raconté à propos de nos personnages et du contexte et b) qu'on a enterriné pour vrai.
La conversation c'est ça plus le reste — les négociations, les idées, les questions — moins ce qui concerne autre chose que la partie — genre "tu me passes le pschitt ?".
La conversation c'est ce qui se passe là maintenant, l'histoire c'est ce qu'on aura à la fin quand on récapitulera ce qui s'est VRAIMENT passé pendant la séance.
Pour Polaris : aucune idée, je ne l'ai jamais lu, il faudra vraiment que.
Pour faciliter la conversation : j'ai jamais dit ça. J'ai dit : "la rendre intéressante sans suer". ;) Et oui, la rendre intéressante la plupart du temps c'est justement PAS la faciliter, mais la pousser au conflit, parce que c'est pour ça qu'on est là quand on veut une histoire intéressante.
« Pour faciliter la conversation : j'ai jamais dit ça. » C'est vrai. Tu écrivis : « La raison de choisir tel ou tel jeu, c'est de faciliter cette conversation et de la rendre la plus intéressante possible. », ce que j’ai manifestement trop étendu, désolé. Toutefois je me demande si ce n’est pas un objectif valable.
SupprimerEn ce qui concerne la conversation vs. la fiction, tu confonds les deux, passe (apparemment) indifféremment de l’une à l’autre, ce qui est en général parfaitement valable | viable en général, mais un peu casse gueule lorsque l’on théorise. (Et aussi : je pinaille.)
Tu dis «la toute base, c'est que certains événements qui se passent dans l'histoire déclenchent certaines règles ». Exemple : James Bond 007 : « j’utilise un point d’héroïsme pour qu’il y ait un radiateur électrique à portée de main pour électrocuter l’assassin dans la baignoire ». On a : conversation → règles → fiction ; il n’y a pas d’élément déclencheur dans la fiction, uniquement dans la conversation
Je dis « certains éléments de la conversation ». Tu écris « Les règles, une fois utilisées, nous donnent des détails à raconter dans la fiction. » Je dis (et tu le dis aussi à d’autres endroits) : « les règles contraignent la conversation ». Souvent cela revient au même, mais pas toujours. Dans Dogs In The Vineyard, les résultats des dés contraignent ce que tu peux dire. Règles → conversation → fiction.
Évidement, comme le but du jeu est aussi la fiction, qu’elle est réglée par la conversation, l’un passe souvent à l’autre. Mais pas toujours. (on a toujours conversation → fiction, jamais fiction → conversation et potentiellement fiction ↔ règles ↔ conversation.) Est-ce plus clair ? Ou est-ce moi qui ne te comprends pas ? Ou alors ne sommes nous tout simplement pas d’accord ?
«Pour faciliter la conversation : j'ai jamais dit ça. J'ai dit : "la rendre intéressante sans suer". ;) Et oui, la rendre intéressante la plupart du temps c'est justement PAS la faciliter, mais la pousser au conflit, parce que c'est pour ça qu'on est là quand on veut une histoire intéressante. » Je ne suis pas sûr que je suis en accord avec toi, mais tout dépend de ce que tu entends par conflit.
(PS : je tiens à préciser que je débats pour progresser et donc potentiellement changer mon propre avis ; pas pour convaincre.)
J'ai de nouveau écrit des âââneries :/ Notamment on a jamais fiction → conversation. Je vais essayer de débrouiller l'écheveau de mes pensées...
SupprimerD'une part règles → fiction. Évidemment, la réalité est fort souvent toujours règles → conversation → fiction, à moins que tout le monde ne connaisse les règles par cœur et que leur application soit automatique et tacite. Toutefois, j'estime que si la conversation se limite à identifier la règle applicable et à son application directe, purement mécanique, le raccourci règles → fiction est sensé.
D'autre part on a jamais fiction → conversation. Je considérais les choses dans un cadre essentiellement dynamique : un nouvel élément de la conversation déclenche une intervention des règles ; une intervention des règles provoque des contraintes dans la conversation.
La fiction ne peut jamais changer que via la conversation ou les règles. Un nouvel élément de la fiction est nécessairement une conséquences soit des règles soit de la conversation et donc ne peut, àma, être considéré comme l'élément déclencheur primaire.
Toutefois je perdais de vue le cadre statique. La fiction c'est aussi des règles. Ou, dit autrement, la fiction sert de support à cette règle universelle (je crois) des jdr : il faut respecter la continuité de la fiction, maintenir sa cohérence. Dans ce sens, fiction → conversation n'est pas impossible mais nécessaire.