Les cheat codes du MJ : les questions

J'ai donc mené Lady Blackbird l'autre jour, et même si la partie était fun pour tout le monde, j'ai quand même eu l'impression de passer à côté de quelque chose. Après la partie, je me suis rendu compte que je n'avais pas bien fait mon travail de MJ de Lady Blackbird. Je rappelle : 

Écoutez & posez des questions, ne planifiez rien 

 Quand vous êtes MJ, n’essayez pas de planifier ce qu’il va se passer. Posez plutôt des questions, vraiment beaucoup de questions et orientez les vers ce qui vous intéresse.

A mon grand dam — c'était une première, j'étais fatigué, les sangliers avait mangé un truc pas net — j'ai surtout mené "comme d'habitude". Et ça ne va pas. Dans ma grande quête des mille et une façons différentes de mener un jdr, jouer "comme d'habitude" c'est l'erreur, le péché, l'anathème. 

"Mais," me direz-vous, "on ne peut pas mener une partie de jeu de rôle juste en posant des questions, si ?"

Et je vous répondrai "je n'en sais foutre rien." Mais en attendant, frustré que j'étais, j'ai bien envie d'essayer, et j'ai préparé toute une série de questions et de pistes pour la prochaine partie, histoire de ne pas avoir la nausée à la vue de mon visage le matin en me brossant les dents. Et on peut en faire, des choses, en posant des questions. Mais avant toute chose, deux choses à faire, toujours, avec les questions :

Les poser aux personnages, pas aux joueurs

Histoire que les joueurs se mettent bien dans leur peau et qu'ils envisagent la situation de leur point de vue. Pas "Albert, que fait Lady Blackbird ?" mais "Lady Blackbird, que faites-vous ?" (parce qu'on vouvoie une lady). Vous allez voir, pas mal d'astucieuses astuces exposées plus loin dépendent de ça.

Ajouter sa propre touche

Si je trouve les réponses trop gentilles ou trop méchantes, ou contradictoires avec ce qui a déjà été dit pendant la partie, au lieu de nier la réponse — ce qui dirait cash aux joueurs "...mais je fais ce que je veux de toutes façons" et qui pourrait les décourager à me répondre — j'ajoute ma touche. Au lieu de dire : "mais non, le receleur n'est pas un gentil garçon qui veut te donner tout son argent", j'ajoute "Oui, en effet, il veut bien te filer le cash... à condition que tu passes la soirée avec lui, si tu vois ce que je veux dire." Je ne nie pas qu'il soit amical : j'ajoute juste un prix à son amitié.

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Bref, les questions, donc.

Le plus évident : "qu'est-ce que tu fais ?" 

Racontez n'importe quoi de pressant et ajoutez les yeux écarquillés "qu'est-ce que tu fais ?" après, ça devrait pousser les joueurs au cul. Mais vous connaissez sûrement déjà et il y a plus drôle.

Pousser la partie au cul

Snargle, d'après toi quelle serait la meilleure chose à faire ? Pourquoi vous le ne faites pas ?

Naomi, il a quelque chose qui te travaille à propos de cette affaire, quelque chose qui semble louche. C'est quoi ?

Capitaine, quels sont vos ordres ?

On est bien d'accord : c'est Lady Blackbird. Il n'y a pas de scénario à essayer de deviner : n'importe quoi est bon à faire tant que ça avance. Avec des questions pareilles, je ne donne pas des pistes aux joueurs : je les pousse à trouver leurs propres pistes.

Trouver l'inspiration

Cyrus, l'alarme sonne sur le navire, quelqu'un a dû repérer votre évasion. Tu as servi sur un navire de guerre, non ? C'est quoi, le protocole, dans ce cas-ci ?

Naomi, c'est armé avec quoi, un marine impérial ?

Kale, toi qui fricote avec les receleurs, à qui pourrais-tu revendre ce truc sur cette station ?

Quoi que les joueurs répondent, si je le réincorpore dans l'histoire, il y a des chances que ça passe à l'aise. Ne pas oublier d'ajouter sa touche au passage : "deux gardes ? Sur un navire de petite taille, peut-être, mais on parle de la Main Chagrine, un vaisseau amiral : tu peux compter le triple, au moins."

Etendre l'univers

Snargle, quand vous arrivez sur la station, tu sais d'emblée qu'il y a d'autres gobelins des cieux ici. Comment le sais-tu ? Comment peux-tu les trouver ?

Naomi, ce type est le serviteur d'un de tes anciens maîtres. A quoi l'as-tu repéré ?

Lady, vous avez déjà croisé cet homme à une occasion mondaine. Il ne vous a pas encore reconnu. Qui est-ce ?

Ca commence à devenir marrant. Au lieu de passer mon temps à balancer des indices subtils que de toutes façons, mes joueurs vont rater comme des joueurs, je balance cash au joueur que son personnage a capté un truc et je lui demande comment. Après tout, qui est plus à même que Snargle de sentir la présence d'autres gobelins ? Qui mieux que Naomi, qui rumine sa vengeance depuis des mois, peut reconnaître les petits signes qui trahissent l'appartenance à la maison noble qui attire son courroux ?

Pousser au conflit

Naomi, les gardes te poussent sans ménagement dans le couloir. Tu te laisses faire ?

Capitaine, la Lady est en train de donner des ordres à tout le monde, là, tu laisses dire ?

Snargle, tu comptes rester sagement assis là sans toucher à rien, comme le capitaine te l'a demandé ?

Parce qu'on est là pour ça, c'est dit dans les règles. Et là aussi c'est subtil : l'idée, au lieu de demander un vague "que fais-tu", est de demander au personnage s'il fait quelque chose qu'il n'a absolument pas envie de faire. A la place, je lui propose ce que l'opposition a envie qu'il fasse (se laisser faire par les gardes, laisser la Lady commander tout le monde). Connaissant le joueur lambda, la réponse sera certainement "absolument pas ! A la place, je..." 

Oui, c'est de la psychologie inversée.

Décrire les résultats

Naomi, Kale est salement touché ! Il s'effondre à tes pieds ! A quoi ressemble la blessure ? Ca a l'air grave ?

Naomi pulvérise les gardes ! Snargle, toi qui est tout près : qu'est-ce que tu en vois ?Qu'est-ce qui se passe exactement ?

Je n'ai vu nulle part que c'était à moi de décrire le résultat. En demandant à quelqu'un d'autre que le lanceur de dés, je cherche à obtenir une réponse un peu plus neutre. En demandant à un personnage présent sur la scène, je varie les points de vue et je rends ça un peu plus naturel. Je ne demande pas à un joueur de décider : je demande à un personnage ce qu'il voit ! C'est subtil mais ça peut faire la différence. 

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Il y a mille autres questions à poser et mille autres choses à faire avec des questions, mais ça devrait me suffire pour la prochaine partie.

Finalement, l'important, c'est de ne pas vraiment briser la sacrosainte distinction "les joueurs s'occupent de leurs personnages et le MJ de tout le reste." Finalement, toutes ces questions concernent les personnages, et la réponse est toujours quelque chose que le personnage sait. Que le joueur le sache ou pas, qu'importe : une partie de jeu de rôle, c'est inventer des trucs et les raconter, non ? En ajoutant ma touche, j'ai toujours assez de place pour empêcher les contradictions et pousser le récit vers l'avant. Mon but, c'est à la fois de pousser les joueurs à être proactifs sans les sortir de leurs personnages.

J'essaie ça la prochaine fois et je vous dis si ça marche.

 Illustration : The Question, © B3nn3tt 2010-2012